L’intelligence artificielle : un catalyseur pour la recherche clinique
A condition de se conformer à un cadre réglementaire bien défini, la mise en œuvre de l'intelligence artificielle dans la recherche clinique va révolutionner les pratiques et la qualité des résultats obtenus. L'AFCROs fait le point sur les atouts mais aussi les limites actuelles de cette technologie.
Par Khalil Ben Yahia, Maurice Bagot d'Arc et Karim Nadra du groupe AFCROs-DM
L’intelligence artificielle (IA) est omniprésente aujourd’hui, révolutionnant chaque secteur. Au cœur de l’actualité, elle façonne l’avenir, accélère l’innovation et redéfinit les frontières de la recherche.
En santé, et plus particulièrement en recherche clinique, l'IA transforme radicalement la conception, l’exécution et l’analyse des essais cliniques, les rendant plus efficaces, sûrs, rapides et précis. Ce bouleversement est soutenu par des investissements significatifs, comme les 1,5 milliard d’euros alloués par le plan France 2030, marquant ainsi un tournant dans la manière dont chercheurs et professionnels de santé abordent les défis cliniques. De plus, un rapport remis par la Commission de l'Intelligence Artificielle au Président de la République en mars 2024 a présenté 25 recommandations1 visant à faire de la France un acteur majeur de cette révolution technologique.
L'accompagnement réglementaire de cette évolution est également crucial : l'IA Act, publié au Journal Officiel de l’Union Européenne (JOUE) en juillet 2024 et dont l’entrée en vigueur s’effectue progressivement depuis août 2024, représente la première législation générale et exhaustive au monde sur l'intelligence artificielle. Elle encadre le développement, la mise sur le marché et l'utilisation des systèmes d'IA, notamment ceux qui, en raison de données de mauvaise qualité, de biais dans les modèles ou de limitations techniques, pourraient entraîner un diagnostic erroné ou un traitement inapproprié, mettant en danger la santé des patients. L'approche adoptée est fondée sur les risques en classant les systèmes d'IA selon quatre niveaux de criticité : risque minimal, limité, élevé ou inacceptable.
L'IA : de quoi s'agit-il ?
L’intelligence artificielle est un domaine scientifique en constante évolution qui englobe un ensemble d'algorithmes et de modèles mathématiques capables de simuler des processus cognitifs humains.
Selon le Parlement européen : "L’IA désigne la possibilité pour une machine de reproduire des comportements liés aux humains, tels que le raisonnement, la planification et la créativité2". Cependant, cette définition ne couvre pas toutes les capacités de l'IA, qui peut exceller dans des tâches allant bien au-delà des facultés humaines, comme l’analyse de grandes masses de données ou la prise de décisions via l’apprentissage automatique.
L'IA : un outil incontournable pour les investigations cliniques
Cette puissance ouvre des perspectives inédites dans la recherche clinique, où la complexité et la masse des données rendent l’analyse humaine de plus en plus difficile.
Dans le cadre des essais cliniques, l'IA se révèle être un levier essentiel pour transformer les pratiques traditionnelles. Les processus, historiquement manuels et coûteux, bénéficient de l'introduction de l'IA à plusieurs niveaux : de la conception des protocoles à l’analyse des résultats. L’IA permet d’améliorer considérablement l'efficacité des recherches.
Une personnalisation accrue des protocoles cliniques
La création d’un protocole clinique est une étape fondamentale et souvent longue. Grâce à l’intelligence artificielle générative, capable d'analyser d'énormes bases de données provenant de recherches antérieures et entraînées sur des bases dites "de big data", il devient possible de générer des données synthétiques qui imitent les caractéristiques des données réelles tout en garantissant la confidentialité des patients.
Cela permet aux chercheurs :
- d'optimiser les critères d'inclusion,
- de simuler différents scénarios d’essai,
- et d'améliorer ainsi la conception des protocoles.
Par exemple, l’IA autorise une sélection plus précise des patients, en se basant sur des critères cliniques, biologiques et génétiques, ciblant ainsi les individus les plus susceptibles de bénéficier du traitement étudié.
Recrutement des patients : une solution basée sur les données
Le recrutement des patients dans les essais cliniques reste un défi majeur. Environ 86 % des essais cliniques échouent faute de pouvoir recruter les patients nécessaires dans les délais impartis3, ce qui génère des retards dans le développement de nouveaux traitements. L'IA, en analysant des données médicales provenant de diverses sources (historique médical, imagerie), permet de pré-sélectionner les patients les plus susceptibles de participer, et de les associer aux essais cliniques les mieux adaptés.
L’initiative AIIPIK (“Artificial Intelligence to Improve Patient Inclusion and Knowledge”), menée par Ospi en collaboration avec le CHU de Toulouse et AMGEN4, en est un exemple. Grâce à des algorithmes d’IA, elle permet d’analyser en temps réel les données d’imagerie, biologie, cytologie et les comptes-rendus d’hospitalisation et de consultation des patients pour identifier les individus qui seraient éligibles à des essais cliniques. Cette approche accélère le recrutement en garantissant que les participants répondent parfaitement aux critères des essais et en facilitant leur accès aux traitements innovants.
Révolution de la collecte et de l’analyse de données
Le volume de données collectées dans le cadre des études cliniques connaît une expansion sans précédent, notamment grâce aux dispositifs connectés tels que les capteurs biométriques et les montres intelligentes. Ces technologies permettent un recueil massif et en temps réel d’informations précieuses sur l’état des patients. L’intelligence artificielle joue un rôle central dans l’analyse de cette volumétrie croissante. En traitant et en croisant des données issues de multiples sources, elle permet une interprétation plus fine et approfondie que les approches classiques. Son utilisation améliore la détection des tendances et la personnalisation des analyses.
A l’image de l’initiative AIIPIK axée sur le recrutement de participants aux études, via des techniques de traitement du langage naturel (NLP), l’IA peut extraire des informations utiles de sources non structurées (notes cliniques, rapports d’imagerie), les transformant en formats exploitables pour l’analyse.
Défis et limites de l'IA dans les investigations cliniques
L'IA constitue un atout précieux, en rationalisant des processus tels que la conception des études, l’élaboration des protocoles et la conformité réglementaire. En analysant de grands volumes de données, l'IA peut identifier des risques et optimiser la conception des essais permettant de réduire les coûts et d’accélérer le développement des traitements.
Bien que cette technologie présente de nombreux avantages, son intégration dans les essais cliniques soulève des défis, notamment la validation des algorithmes. Encore considérées souvent comme des "boîtes noires", telles que celles utilisées dans les réseaux neuronaux profonds, de nombreuses solutions suscitent des questions de transparence et de fiabilité des décisions prises, ce qui est particulièrement crucial dans un domaine aussi sensible que la santé. Néanmoins, les recherches d’explicabilité sur les modèles d’IA (dites XAI) progressent rapidement afin d’apporter un éclairage sur ces zones d’ombre que l’IA Act ne permet pas de tolérer.
La gestion des données personnelles et sensibles est un autre défi important. Les essais cliniques impliquent de grandes quantités de données, ce qui soulève des préoccupations éthiques et juridiques. L'IA doit respecter des normes strictes, comme le RGPD, pour garantir la confidentialité des informations. La CNIL, dans son plan stratégique 2025-20285, fait de l’IA un axe majeur de travail afin de promouvoir une intelligence artificielle éthique et respectueuse des droits des individus.
En conclusion...
L’IA est un catalyseur essentiel dans la transformation des essais cliniques. Elle permet d’optimiser la conception des protocoles, d’améliorer le recrutement des patients et de garantir la qualité des données, tout en réduisant les coûts et accélérant les processus. L’adoption croissante de l’IA dans la santé pourrait redéfinir les normes de la recherche clinique, rendant les essais plus rapides, plus précis et plus efficaces que jamais.
--------------------------------------------------
1 Commission Intelligence Artificielle : Notre Ambition pour la France, Mars 2024
2 Parlement européen : Intelligence Artificielle : Définition et Utilisation, 20 juin 2024
3 Base nationale des essais cliniques : Rapport de consultation des acteurs de l’écosystème de la recherche clinique, 18 janvier 2023
4 Natural Language Processing as promising Artificial intelligence tool to improve patients enrollment in clinical trials : analysis in real world conditions on lung cancer cohort, présenté lors du Congrès ESMO 2024
5 CNIL : Plan Stratégique 2025-2028 : Protéger les données de chacun pour sécuriser l’avenir numérique pour tous, 16 janvier 2024