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Digitalisation des essais cliniques en France : le guichet est ouvert !

Publié le 08 octobre 2024 par Romain FOURNIER
Digitaliser les essais cliniques permettra d'avoir un impact positif sur leur décarbonation, en limitant les déplacements des personnes impliquées.
Crédit photo : © Prot - stock.adobe.com

Les différentes prises de position des instances et autorités de santé sont aujourd'hui en faveur de la digitalisation des essais cliniques. Une phase pilote vient d'être mise en place, dans laquelle les industriels de santé promoteurs ont un rôle important à jouer. Une opportunité à saisir !

Angèle Guilbot (crédit photo : Multihealth)

Par Angèle Guilbot, Directrice Générale du Groupe MultiHealth

La digitalisation des essais cliniques représente un enjeu majeur en Europe et plus spécifiquement en France. Deux raisons principales à cela : conserver l’attractivité des Etats en tant qu'opérateurs de recherche clinique, et anticiper d’éventuelles nouvelles crises sanitaires.

La digitalisation est un terme générique pour évoquer la dématérialisation et la décentralisation. On entend par « dématérialiser » la transformation des processus et documents d’un format papier vers le format numérique, comme par exemple le recours à la signature électronique ou la réalisation de monitoring à distance. "Décentraliser" signifie quant à lui déployer des essais cliniques en dehors des lieux habituels de recherche, avec la mise en place d’outils ou personnes relais. L’implication des fournisseurs de soins de santé qui se rendent au domicile des patients ou la téléconsultation en sont des exemples. La dématérialisation est une étape obligatoire pour aller vers la décentralisation.

Dans le sillage de la pandémie...

En mars 2020, la Commission européenne, l’Agence européenne du médicament et les directeurs nationaux des agences du médicament (HMA, Heads of Medicines Agencies) ont publié des recommandations à l’intention des promoteurs d’essais cliniques sur la manière de gérer la conduite de ces essais à la lumière des nouveaux défis entraînés par la pandémie du Covid-191. L’objectif de ces recommandations était double : préserver la qualité des données collectées et garantir les droits, la sécurité et le bien-être des patients participant à des essais. Un paragraphe était réservé à la vérification des données sources à distance, le rSDV (remote Source Data Verification). Il y était précisé que cette modalité de monitoring pouvait être envisagée de manière exceptionnelle et pour certaines situations justifiées. Ce rSDV devait se concentrer sur le contrôle de la qualité des données critiques telles que les données primaires d'efficacité et les données importantes relatives à la sécurité.

En avril 2021, toujours dans un contexte de crise sanitaire, la CNIL a diffusé des recommandations provisoires pour le monitoring à distance2. Il a été possible jusqu’au 31 décembre 2021 de faire du rSDV pour un périmètre restreint d’essais concernés par la dérogation : études liées à la COVID-19, essais portant sur des maladies graves, essais pour lesquels l’absence de contrôle des documents sources était susceptible d’entraîner des risques pour la sécurité des participants…. Le périmètre décrit comme restreint dans les recommandations de la CNIL était en fait assez large et a permis à bon nombre de promoteurs de garantir la sécurité des patients et de poursuivre des essais cliniques « pivots », pour ne pas retarder la demande d’AMM ou ne pas mettre en péril la fiabilité et l’intégrité des résultats de tels essais.

De manière intéressante, au plan réglementaire, la CNIL indiquait ceci : « …toutes les études initiées à compter du 1er janvier 2022 comportant un contrôle qualité à distance nécessiteront, à compter de cette date, le dépôt d’une demande d’autorisation auprès de la CNIL. ….. Les responsables de traitement ayant déjà débuté leurs études peuvent maintenir ces modalités de réalisation au-delà du 31 décembre 2021 sans déposer une demande d'autorisation auprès de la CNIL. »

En d’autres termes, ceux qui avaient débuté le rSDV avec l’initiation d’une étude en 2021 étaient autorisés à poursuivre, mais cette modalité de monitoring nécessitait une demande d’autorisation pour les suivants. Deux poids, deux mesures …

De nouvelles recommandations applicables hors crise sanitaire

LE rSDV : AUTORISÉ SEULEMENT SOUS CONDITION
De quoi s'agit-il ?

En recherche clinique, le contrôle qualité des données ou monitoring consiste à vérifier l’exhaustivité et l’exactitude des informations transmises par les centres d’investigation au promoteur afin d’assurer la fiabilité des résultats de l’étude.

Ce contrôle qualité revient notamment à vérifier la cohérence entre les données collectées dans le cahier d’observation (CRF, Case Report Form) par un investigateur (médecin ou autre professionnel de santé) et les données sources issues de documents tels que dossiers médicaux, comptes rendus d’analyses de laboratoires, etc.

Ce travail de vérification est réalisé sur site, c’est-à-dire qu’une personne qualifiée et missionnée par le Promoteur, en général un Attaché de Recherche Clinique, se déplace dans les centres investigateurs et confronte les données du CRF aux données sources : c’est le Source Data Verification. Les données du CRF et les données sources sont maintenant stockées au format électronique et accessibles en ligne : elles pourraient donc être confrontées à distance, sans avoir à se rendre physiquement dans les locaux d’un centre investigateur. Pour autant, l’article L. 1121-3 du code de la santé publique et les bonnes pratiques cliniques n’autorisent pas cette vérification à distance appelée rSDV pour remote Source Data Verification.

Le monitoring à distance par le promoteur reste possible sous réserve d’obtenir une autorisation spécifique de la CNIL, qui se rajoute aux autorisations habituelles requises de la part des autorités compétentes et du comité d’éthique. L’allongement des délais réglementaires, déjà conséquents, est un frein avéré pour les promoteurs.

En décembre 2022, la Commission européenne a publié des recommandations relatives aux essais cliniques décentralisés3. La pandémie de Covid-19 avait mis en exergue l’importance des outils numériques et le besoin de procédures de décentralisation dans le cadre des soins et de la recherche. Il était nécessaire de formuler de nouvelles recommandations dans la conduite des essais cliniques décentralisés et ce indépendamment de toute crise sanitaire. L’objectif de ces recommandations est de faciliter le recours à des composantes décentralisées dans les essais cliniques, en respectant un niveau élevé de sécurité des participants, en assurant la protection de leurs droits, tout en garantissant la fiabilité des données à collecter et traiter. Ce document considère divers aspects des essais décentralisés, notamment la surveillance des essais cliniques, les rôles et responsabilités du promoteur et des investigateurs, les procédures au domicile du patient liées aux essais, le consentement éclairé électronique, la livraison à domicile de médicaments et leur administration, et enfin la définition et le traitement des données sources.

20 projets d'essais cliniques décentralisés bientôt à l'étude

En février 2023, la Commission nationale des recherches impliquant la personne humaine (CNRIPH) a organisé un groupe de travail réunissant des représentants réglementaires, des opérateurs et des utilisateurs afin de transposer ces recommandations européennes au niveau national. Les 6 composantes des essais cliniques décentralisés listées par la Commission européenne font l'objet de travaux pour établir des recommandations nationales précises et concrètes, lever les verrous réglementaires et favoriser cette nouvelle forme de recherche. Ces travaux sont actuellement en cours de consolidation.

Dans l’attente des recommandations françaises déclinant les propositions de l’EMA (European Medicines Agency) en la matière, le Ministère de la santé recherche en France des cas d’usage pour approfondir les travaux engagés. En janvier 2024, dans la continuité de ces recommandations européennes, le ministère de la santé via la Direction générale de la santé (DGS) et la Direction générale de l’offre de soins (DGOS), l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) et la CNIL ont ainsi lancé une phase pilote pour apporter des réponses concrètes aux difficultés rencontrées avec un ou des éléments décentralisés, lors de la conception d’un essai clinique4. Cette phase pilote d’une durée de 6 mois vise à sélectionner 20 projets pour leur apporter un soutien tout particulier. Chaque demande devra comporter une proposition de scénario complet de mise en œuvre de l’élément décentralisé du projet de recherche. L’objectif de cette phase pilote vise à publier des recommandations françaises sur la décentralisation et permettra d’alimenter les travaux de la CNIL relatifs à la mise à jour des méthodologies de référence.

Schéma du déroulement d’essais cliniques décentralisés

Dans les essais cliniques décentralisés, les visites Patient, les interactions avec les prestataires de soins de santé et les tests de laboratoire sont réalisés au plus près du lieu de résidence du patient. Les produits à l’étude (médicament, DM...) sont fournis directement au patient ou à l’établissement de santé local. Les autres interactions, y compris le recrutement et le suivi des patients, sont effectués via le web avec un accès et un stockage des données sécurisés. Le terme de « wearable » employé dans cette figure renvoie à l’ensemble des objets – vêtements ou accessoires – qui ont la particularité d’être connectés à un appareil, comme un téléphone, pour recueillir des données relatives à la personne qui les porte et à son environnement (ex : montre connectée, dentier connecté des sportifs...).

Tous acteurs d'une digitalisation accélérée !

La voie de la modernisation des essais cliniques au travers de la digitalisation est ouverte en France ! La phase pilote est une opportunité à saisir pour tout promoteur industriel ou académique envisageant de mener une étude avec un médicament, un dispositif médical, un dispositif médical de diagnostic in vitro ou portant sur la personne humaine. Cela concerne :

  • les essais cliniques pré- et post-AMM,
  • les études de performance,
  • et les investigations cliniques pré- et post-marquage CE.

Quel que soit l’outil ou le processus digital concerné (cf. Figure dans l'encadré ci-contre), il est possible d’interroger le guichet unique avec la garantie d’obtenir une réponse sous 15 jours5.

C’est le moment d’intégrer du rSDV avec une plateforme web sécurisée répondant aux critères de sécurité requis (chiffrement des données de santé, accès par double authentification, …) pour garantir le respect du Code de la santé publique et des dispositions du Règlement Général sur la Protection des Données.

Contribuer à ce que la digitalisation des essais cliniques soit reconnue et réglementée est aujourd’hui un acte citoyen, au sens éthique et responsable. Ethique puisque cette modalité de recherche permet à tous les patients et investigateurs, quelle que soit leur localisation géographique, de participer à des recherches. Responsable en raison de la limitation des déplacements nécessaires, qui a un impact positif sur l’empreinte carbone liée aux travaux de recherche clinique. Il est important de rappeler ici que cette digitalisation doit avant tout se faire au service du patient. La qualité de la relation entre l’équipe investigatrice et le sujet participant à la recherche est le gage de réussite de l’évolution des pratiques.

1) Guidance on the Management of Clinical Trials during the COVID-19 (Coronavirus) pandemic
https://ec.europa.eu/health/sites/health/files/files/eudralex/vol-10/guidanceclinicaltrials_covid19_en.pdf.  Consulté le 13 février 2024.
2) https://www.cnil.fr/fr/recommandations-provisoires-controle-qualite-essais-cliniques-crise-sanitaire
3) HMA – EMA: Recommendation Paper on Decentralised elements in clinical trials – version 01, 13 December 2022
4) https://www.cnil.fr/fr/essais-cliniques-decentralises-lancement-dune-phase-pilote-par-la-dgs-la-dgos-lansm-et-la-cnil
5) phasepiloteessaisdecentralises@sante.gouv.fr


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