Comment apporter une preuve clinique suffisante pour se conformer au RDM ?
Le RDM impose aux fabricants de DM d'apporter une "preuve clinique suffisante" de la conformité de leur produit aux exigences générales de sécurité et de performance. Cette démarche suscite encore aujourd'hui de nombreuses interrogations. Le point avec deux spécialistes de l'AFCROs.
Par Odile Capronnier et Sara Guillemin du groupe AFCROs-DM
Le Règlement 2017/745 (RDM) a considérablement augmenté la place des données cliniques dans le processus de certification des Dispositifs Médicaux (DM), en comparaison des Directives 93/42/EEC et 90/385/EEC. Son chapitre VI est entièrement consacré à l’évaluation et aux investigations cliniques, et stipule que la confirmation de la conformité d’un DM aux exigences générales de sécurité et de performance doit être fondée sur des données cliniques apportant une preuve clinique suffisante (article 61(1)).
Dès la parution du RDM, cette exigence a fait émerger deux questions suivantes : "Qu’est-ce qu’un niveau de preuve clinique « suffisant » ?" et "Comment apporter une preuve clinique suffisante ?".
Près d’un an après sa mise en application, les réponses à ces questions restent une gageure pour la majorité des fabricants. Car, entre le texte et la pratique, le champ de l’interprétation est vaste, et les demandes des Organismes Notifiés ne sont pas toujours homogènes. De premiers éléments de réponse peuvent néanmoins être apportés. Plusieurs étapes clés, détaillées dans la suite de cet article, paraissent incontournables.
Définir les revendications de performance, bénéfice et sécurité
Le fabricant est libre de fixer les revendications de son DM, mais en respectant certaines contraintes. Ainsi, il a intérêt à choisir des critères reconnus et consensuels, après revue de la littérature (examen des critères des DM concurrents ou alternatives thérapeutiques) et des recommandations de sociétés savantes ou d’agences officielles (e.g., Haute Autorité de Santé). Les critères choisis doivent se conformer aux normes harmonisées ou aux spécifications communes, s’il en existe. Les revendications doivent être précisément définies et quantifiables, de façon à pouvoir être évaluées et comparées sur la base des données cliniques disponibles. Par exemple, la performance peut s’évaluer sur la base d’un score fonctionnel reconnu, par un taux de patients atteignant un score seuil acceptable après utilisation du DM. Le fabricant doit s’assurer qu’il pourra soutenir ses revendications grâce aux données dont il dispose, ou dont il disposera prochainement : elles doivent être atteignables et réalistes.
Déterminer le niveau de preuve clinique suffisant
Comme défini dans le guide MDCG 2020-6, le niveau de preuve clinique englobe à la fois la quantité et la qualité des preuves requises pour démontrer la sécurité, la performance et l’acceptabilité du rapport bénéfice-risque du DM. Là où la quantité fait référence, par exemple, au nombre d’investigations cliniques ou au nombre de sujets au sein de ces investigations, la qualité comprend notamment la validité statistique et la pertinence clinique.
Un niveau de preuve clinique est donc considéré comme étant « suffisant » lorsqu’à la fois la quantité et la qualité de ces preuves sont suffisantes.
A noter que le guide MDCG 2020-6 précise que ce niveau de preuve clinique (« level of clinical evidence »), ne doit pas être confondu avec le niveau de preuve utilisé pour hiérarchiser le design des études (« level of evidence »). En effet, le niveau de preuve n’est qu’un élément permettant d’évaluer le niveau de preuve clinique.
Il appartient au fabricant de préciser et justifier, pendant l’évaluation clinique, ce niveau de preuve clinique suffisant. Le guide MDCG 2020-6 spécifie que ces précision et justification doivent être apportées dans le plan d’évaluation clinique (CEP). Ainsi, un des objectifs du rapport d’évaluation clinique (CER) sera de vérifier si ce niveau est atteint.
D’après l’article 61 du RDM, le niveau de preuve clinique doit être « approprié, eu égard aux caractéristiques du DM et à sa destination. » Le caractère approprié est sujet à débat et interprétation.
Néanmoins, le fabricant peut s’appuyer sur le tableau de l’annexe III du guide MDCG 2020-6 qui suggère une hiérarchie de types de données cliniques et non-cliniques (cf. tableau ci-dessous) pour déterminer dans les grandes lignes le niveau de preuve clinique suffisant, en tenant compte de la classe du DM, ses caractéristiques et sa destination ainsi que de son caractère novateur ou, au contraire, bien établi.
La quantité et la qualité suffisantes sont à préciser en s’appuyant sur le rapport bénéfice/risque attendu pour le DM. Ainsi, un DM qui n’a pas de bénéfice clinique revendiqué et comporte peu de risques (e.g., réfrigérateur médical pour stocker des tissus, instruments chirurgicaux rudimentaires) aura besoin d’un niveau de preuve clinique modéré. À l’inverse, un DM qui revendique un bénéfice clinique important et comporte des risques (e.g., DM implantable basé sur une nouvelle technologie) devra fournir des preuves cliniques de haut niveau.
Collecter des données cliniques en cas de preuve clinique insuffisante
Si le niveau de preuve clinique disponible est jugé insuffisant à l’issue de l’évaluation clinique, le fabricant doit alors générer des données cliniques complémentaires.
L’investigation clinique est incontournable pour les DM à haut niveau de risque, soit les classe III et les implantables, sauf exception (article 61.4). Quelques types de DM implantables utilisés en orthopédie (e.g., sutures, agrafes, vis, broches, etc.) ou dentaire (e.g., produits d’obturation, couronnes, appareils orthodontiques, etc.) sont exemptés d’investigations cliniques. Pour certains DM à très haut niveau de risque, le RDM prévoit la constitution de groupes d’experts compétents, désignés par la Commission européenne, pour sollicitation par les fabricants et par les Organismes Notifiés (article 61.2 et article 106).
Pour les DM marqués CE sous la Directive (« legacy devices »), l’exigence sur les données cliniques est la même. Or, de nombreux DM, sur le marché depuis des années voire des décennies, n’ont jamais fait l’objet d’investigations cliniques, leur évaluation clinique étant portée par les données de DM équivalents, comme le permettait la Directive. Le RDM est beaucoup plus restrictif en la matière, puisque l’équivalence implique un accès au dossier technique complet du DM équivalent, ce qui est rarement le cas s’il appartient à un concurrent. Le fabricant se voit donc contraint de mettre en place des investigations cliniques, coûteuses et difficiles à mettre en œuvre, car peu attractives pour les investigateurs et les patients.
Pour tous les autres types de DM (classe I ou II non implantables), la source des données cliniques n’est pas spécifiée dans le RDM. Quel que soit le mode de collecte de données cliniques (e.g., investigation clinique, réutilisation secondaire de données déjà collectées, enquête de pratique, etc.), la démarche consiste à partir de l’existant (données listées dans l’évaluation clinique) et à combler tous les écarts identifiés. En effet, le fabricant doit pouvoir fournir des données cliniques sur l’ensemble des modèles, variants ou tailles de son dispositif, sur l’ensemble des indications revendiquées, sur tous les groupes de population cible, et sur toute la durée d’utilisation du dispositif, avec le niveau de preuve adéquat. S’il existe encore des écarts, il faut prévoir de les couvrir dans le Suivi Clinique Après Commercialisation (SCAC, ou PMCF en anglais), qui permettra d’actualiser l’évaluation clinique en faisant remonter des données pertinentes tout au long du cycle de vie du DM.
Notons enfin que l’article 61.10 du RDM prévoit des cas exceptionnels où la conformité aux exigences de sécurité et performances n’est pas démontrée par les données cliniques, mais se fonde sur des données non cliniques (e.g., bancs d’essai, évaluation préclinique, etc.). Cela peut être le cas d’un logiciel ou d’un instrument de mesure, par exemple.
En conclusion
Si le RDM se veut bien plus exigeant et détaillé que les anciennes Directives sur les données cliniques, la notion de preuve clinique suffisante est sujette à interprétation. Les retours d’expérience restent encore trop peu nombreux pour dégager une forme de « jurisprudence » sur des catégories de dispositifs médicaux. Ce qui est clair, c’est que tout choix sur les critères de sécurité et performance, sur le mode de collecte des données et sur les niveaux de preuve doit être expliqué et justifié. La discussion doit être engagée le plus tôt possible avec l’Organisme Notifié pour s’assurer d’aller dans la bonne direction.