Les défis de la conception de capteurs portables connectés
Le développement de dispositifs médicaux sous forme de capteurs portables connectés est une véritable gageure. Il s'agit en effet de concilier fiabilité de la mesure, acceptabilité, connectivité et autonomie. Des problématiques foncièrement antagonistes.
Par Bertrand Massot, Maître de Conférences au laboratoire INL de l’INSA de Lyon et co-fondateur de la société Piwio
Éléments clés de la mise en place d’une médecine préventive, les capteurs portables pour la santé ont pour vocation de détecter de manière précoce les symptômes de pathologies et à assurer le suivi de patients hors de l’hôpital, par exemple à leur domicile.
Les avancées technologiques en matière d’intégration électronique et de communications sans fil ont déjà montré qu’il est possible de développer des systèmes portables miniatures connectés à des serveurs de données médicales, soit directement par une liaison 4G ou LoRa/Sigfox, soit par l’intermédiaire d’une passerelle BLE ou WiFi (téléphone, box internet, etc.).
Récemment, on a pu observer que l’essentiel de la conception des capteurs portables est désormais consacré à l’implémentation de ces technologies, ainsi qu’au développement des services d’information associés (logiciel embarqué, applications mobiles, plateformes web). L’état de l’art en matière de mesures physiologiques embarquées laisse notamment penser que le problème de la mesure elle-même est résolu, laissant ainsi la place aux défis de la connectivité et de la sécurité.
Néanmoins, les dispositifs médicaux commercialisés de type "capteurs portables connectés" sont encore très rares. En effet, les projets de recherche académique ont clairement montré que la partie mesure du capteur (transducteurs, interfaçage du capteur et traitement du signal) représente aujourd’hui encore un goulot d’étranglement pour la réalisation d’un dispositif médical viable dans le cadre d’une utilisation dans la vie de tous les jours.
Une affaire de compromis
Lorsqu’il s’agit de développer un capteur portable connecté pour le suivi continu (et possiblement à long terme) de paramètres physiologiques, il faut faire face à plusieurs problématiques qui vont nécessairement orienter sa conception vers un compromis.
Tout d’abord, l’objectif est double :
- concevoir un système permettant la mesure de paramètres physiologiques en continu pendant la vie de tous les jours,
- construire les indicateurs associés issus des mesures de signaux bruts.
Le premier objectif est un défi directement lié à la conception du système de capteur : bien que la fiabilité de la mesure soit l’objectif numéro un, le capteur doit aussi répondre à des problématiques d’acceptabilité, de connectivité et d’autonomie (cf illustration). Or ces quatre domaines d’optimisation sont tous antagonistes. Privilégier l’un revient à dégrader l’autre : diminuer la taille de la batterie réduit l’autonomie, limiter le transfert de données l’améliore, mais au détriment de la connectivité, etc…
Piwio, spin-out de l'INL
Le bureau d'études Piwio est né avec le projet BruXense mené au sein de l’équipe Capteurs Biomédicaux de l'INL (Institut des Nanotechnologies de Lyon). Le projet a permis la création d’une nouvelle gouttière connectée pour la détection et la mesure des épisodes de bruxisme.
La start-up se consacre au développement des objets connectés et dispositifs médicaux connectés, allant de la preuve de concept à l'industrialisation. Son équipe dispose d'une forte expertise en qualité de mesure physiologique, basse consommation et contraintes normatives.
Concernant la mesure elle-même, favoriser la qualité des signaux peut se transformer en impasse pour la viabilité du dispositif entier. Nombreuses sont les mesures qui sont irréalisables, en termes d’acceptabilité, sous la forme d’un dispositif portable. Par exemple, il est difficilement envisageable de proposer aujourd’hui un capteur de fréquence cardiaque pour lequel il est nécessaire de changer régulièrement des électrodes jetables placées sur le buste, qui sur le long terme vont aussi provoquer une irritation de la peau. D’un autre côté, la démocratisation des dispositifs de photopléthysmographie (PPG) au poignet est justement liée à l’acceptabilité d’une telle mesure au poignet, mais pas à sa fiabilité !
Les axes de recherche pour aboutir à une mesure continue de paramètres en répondant à ces différentes contraintes sont pourtant ceux suivis dans l’exemple de la PPG : il faut généralement se tourner vers une délocalisation du site de mesure, et/ou l’accès à l’information par une mesure indirecte. C’est le cas ici, avec la déportation de la mesure du buste vers le poignet et l’utilisation du signal PPG en lieu et place du signal ECG de référence. Il est d’ailleurs intéressant de noter, dans ce cas précis, que la mesure de la fréquence cardiaque au poignet est beaucoup plus sujette aux artéfacts de mouvements et au bruit, et d’une moins bonne précision, que la mesure de référence, même en situations de la vie quotidienne.
Des indicateurs difficiles à interpréter en vie réelle
Le second objectif -la construction des indicateurs associés aux mesures- représente un défi moins connu, et pourtant non moins négligeable que le premier.
A partir des mesures physiologiques réalisées en laboratoire ou en milieu clinique, sont issus les indicateurs qui vont apporter l’aide au diagnostic de symptômes ou de pathologies. Néanmoins il s’avère que ces indicateurs sont souvent peu ou pas applicables lorsque la mesure s’effectue dans des conditions de vie réelle.
En milieu clinique, les conditions de mesure sont contrôlées, et les phénomènes observés sur les signaux sont "spécifiques" : ils traduisent, à l’exemple d’une tachycardie ou d’une arythmie cardiaque, un possible trouble cardiovasculaire. Mais en conditions de vie réelle, des situations d’activité physique (le simple fait de monter des escaliers), peuvent engendrer le même type de réponses, sans pour autant relever d’une pathologie particulière. Ils sont donc "non-spécifiques", et doivent absolument être accompagnés d’une contextualisation des mesures, représentative de la situation dans laquelle elles ont été effectuées.
Des problématiques complexes de fusion de données
Il s’agit donc de redéfinir les indicateurs cliniques de ces symptômes, à partir de mesures multiparamétriques réalisées au préalable, lors d’essais cliniques, dans des conditions identiques ou similaires (par exemple dans des environnements tels que les Living Lab Santé). Ce sont alors des problématiques de fusion de données qui apparaissent et qui peuvent devenir particulièrement complexes.
En conclusion, la réussite de la réalisation d’un capteur portable connecté réside essentiellement dans l’innovation de la méthode de mesure, pour s’assurer de la qualité, de la fiabilité et de son acceptabilité. Ce savoir-faire est aujourd’hui entre les mains des laboratoires de recherche, publics ou privés, alors que l’intégration technologique peut facilement être aujourd’hui sous-traitée auprès de bureaux d’études spécialisés. Par la suite, l’utilisabilité de ces systèmes dépendra de notre capacité à élaborer de nouveaux indicateurs cliniques pertinents, pour lesquels les avancées réalisées en machine learning ces dernières années pourraient apporter de nouvelles solutions.