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Métavers et DM : de réelles promesses aux enjeux juridiques multiples

Publié le 08 août 2023 par Romain FOURNIER
Parmi les projets d'application du métavers en santé figure la réalisation d'hôpitaux virtuels où des patients pourraient être pris en charge et traités.
Crédit photo : © kinwun - stock.adobe.com

Si l'enthousiasme est quelque peu retombé, le métavers présente de réelles opportunités pour des secteurs variés, dont le médical, avec la possibilité d'améliorer la formation des soignants, le parcours des patients, mais aussi la R&D ou la production de DM. Voici quelques observations en partage.

Par Cécile Théard-Jallu et Romain Mirabile, respectivement Avocate associée et Avocat au cabinet De Gaulle Fleurance

Le terme "métavers", ou "metaverse" en anglais, vient de la contraction des mots "méta" et "univers" et désigne un monde virtuel fictif, persistant, connecté et totalement immersif dans lequel les utilisateurs se déplacent en 3D, généralement sous la forme d'un avatar. En 2021, Mark Zuckerberg a parié gros sur l'avenir avec l'ambition de faire basculer les internautes dans le métavers. Les géants du Web et les grandes marques se sont massivement mobilisés pour y développer leurs projets.

Rappelons que le métavers peut utiliser plusieurs concepts et technologies avancées qui se marient entre eux en tout ou partie selon le contexte :

  • le Cloud où il est hébergé,
  • la blockchain qui permet un enregistrement unique des données,
  • la technologie de réalité virtuelle qui projette un monde informatisé à travers un casque,
  • la 5G voire la 6G pour des connexions rapides,
  • et l'Internet des Objets.

Un métavers peut donc être une plateforme, ouverte ou fermée, comprenant des actifs et des identités numériques, et proposant des expériences sociales dans lesquelles les utilisateurs interagissent par le biais de points physiques ou numériques à entrées multiples. Il permet aux entreprises, entre elles ou avec des consommateurs ou des usagers, de passer des contrats, ou d’accomplir des actes, éventuellement en engageant des actifs numériques, pour une variété de divertissements ou d'expériences plus sérieuses.

Ainsi, les combinaisons et les cas d’usage sont illimités et le concept, éminemment pluriel.

Un métavers pourrait-il être un DM ?

Cécile Théard-Jallu (Crédit photo : De Gaulle Fleurance et Associés)

Le métavers apporte une grande liberté dans la reproduction virtuelle de situations (bloc opératoire, salle de réanimation, unité de soins intensifs, chambre de patient, laboratoire de recherche, site de production, etc.) et permet de s’adapter aux besoins à la fois des patients et des professionnels en proposant des expériences et des services personnalisés.

La versatilité des natures et finalités du concept interroge sur l’éventualité même d’une qualification de dispositif médical (DM) de certains métavers et/ou des outils associés, à titre principal ou en tant qu’accessoire.

Selon le Règlement européen 2017/745 sur les dispositifs médicaux (RDM), un logiciel est en soi un DM lorsqu‘il est spécifiquement destiné par le fabricant (i) à être utilisé pour l’une ou plusieurs des finalités médicales reconnues comme telles par les textes et (ii) permet l'exploitation de données propres à un patient pour les modifier ou en créer de nouvelles.

Romain Mirabile (Crédit photo : Michel Labelle)

L’éclairage de l’ANSM est intéressant puisqu'elle considère qu’un certain nombre de logiciels sont des DM ou des DM de diagnostic in vitro (DMDIV), en retenant les critères cumulatifs suivants :

  • être destiné à une utilisation à des fins médicales : prévenir une maladie, établir un diagnostic, constituer une aide au diagnostic ou une aide au traitement ;
  • donner un résultat propre au bénéfice d’un seul patient ;
  • effectuer une action sur les données entrantes propres au patient, telle qu’une analyse, afin de fournir une information médicale nouvelle.

En revanche, un logiciel destiné à la simple observation de la bonne prise d'un traitement ou à la simple communication des données au médecin, sans fonction d’alerte, ne serait pas un DM.

Quant aux accessoires de DM, le RDM prévoit qu'ils sont soumis aux mêmes règles que ces derniers.

Ainsi, selon les circonstances, un métavers au moins en partie et/ou tout outil susceptible d’y être associé (casque de réalité virtuelle, combinaison avec des capteurs, jumeau numérique, etc.) pourrait remplir les critères d’un DM et/ou de son accessoire. Auquel cas, tout l’univers réglementaire des DM devra être mis en œuvre par le fabricant et les autres protagonistes concernés (évaluation clinique, marquage CE, surveillance après commercialisation/matériovigilance/rapport périodique actualisé de sécurité, bonnes pratiques cliniques ou de laboratoire ou de fabrication, normes techniques, etc.).

Divers bénéfices potentiels

Les finalités d’un métavers envisageables en santé sont variables et pourront permettre notamment :

  • Aux professionnels de santé : de bénéficier, par immersion en réalité virtuelle, d’une expérience unique d’apprentissage de l’usage d’un DM, de réaliser des essais cliniques à distance, mais aussi de pratiquer la télémédecine ;
  • Aux patients : de bénéficier d’un diagnostic ou d’un traitement personnalisé (par exemple dans les cas de maladies mentales ou neurologiques ou de rééducation physique) ;
  • Aux fabricants : de concevoir, développer, tester, améliorer et contrôler la qualité de leurs DM avant ou après la mise sur le marché, le cas échéant de façon collective en interne ou avec des partenaires et fournisseurs d’équipements ou de services (i.e. utiliser le métavers comme un site de R&D et de production) ;
  • Aux fournisseurs : de réaliser des tests de production ou mettre en œuvre une procédure de contrôle qualité ;
  • Aux organismes notifiés : de réaliser des audits et tests avant certification et octroi du marquage CE selon la classe du produit, ainsi qu’une fois le DM commercialisé ;
  • Aux autorités réglementaires telles que l’ANSM : d’évaluer la conformité aux exigences essentielles en matière de sécurité, de qualité et de performance sur l’ensemble du cycle de vie du DM.

Des questions juridiques, notamment sur la protection des données

Applications  : du concret... en réalité virtuelle

Estimé à 6,5 Md$ en 2022, le marché du métavers médical devrait dépasser les 71 Md$ d’ici 2030, selon le dernier rapport du cabinet InsightAce Analytic. Pourtant, les applications du métavers en santé, à proprement parler, en sont généralement au stade de projets, comme celui d'une solution de télémédecine expérimentée par l'EHS (Emirates Health Services), d'une pharmacie commercialisant des biens virtuels (CVS Pharmacy) ou encore de cliniques virtuelles (groupe Thumbay, Revitalist...). En France, la société VirtualiSurg développe une plate-forme de formation médicale qui se revendique du métavers. En revanche, les applications basées sur la réalité virtuelle, sans parler de métavers, sont déjà nombreuses, avec un certain nombre d'acteurs français impliqués. C'est le cas de la start-up HypnoVR qui met au point un DM associant hypnose et réalité virtuelle pour réduire la douleur et le stress en limitant l’utilisation de sédatifs et d’anxiolytiques. Avatar Medical développe un logiciel qui crée des représentations 3D interactives de patients, pour aider les chirurgiens à prendre des décisions dans un contexte immersif en réalité virtuelle. Toujours en France, la société Bliss commercialise une application de réalité virtuelle constituant un DM, qui permet aux personnes en situation d'isolement, de douleur ou de stress, de réduire ces symptômes.

Le métavers ne peut fonctionner qu’en interagissant avec le monde terrestre. Il est donc soumis aux règles de ce dernier à tous points de vue (formation des soignants, droit de la consommation, de la propriété, des contrats, droit international, lutte contre le blanchiment, cybersécurité, etc.).

Le fonctionnement d’un métavers soulève notamment des interrogations quant à réglementation et la protection efficace des données personnelles qui y sont traitées. Des interrogations devenues essentielles à mesure que cette nouvelle "sphère privée virtuelle" se développe. En effet, les volumes de données capturées via ou dans le métavers sont impressionnants. Elle peuvent inclure des données sensibles telles que des données biométriques (chat vocal, suivi des yeux, etc.) et des données de santé (pression sanguine par les mouvements du contrôleur, etc.) qui méritent une protection accrue en vertu de l'article 9 du RGPD. Le métavers s'accompagne également d'une utilisation potentiellement massive de ces données.

De nombreuses questions se posent : avant tout, quelles données seront considérées comme personnelles et comment appliquer le RGPD (ou toute autre législation applicable) ? Par exemple, sur la base du principe de la protection de la vie privée dès la conception, comment (i) recueillir le consentement approprié des utilisateurs (non conscients des données qu'ils émettent), (ii) limiter les données collectées et leur durée de stockage en fonction des objectifs visés dans une dimension multidirectionnelle et persistante en temps réel, ou (iii) faire respecter les droits individuels avec une multitude de responsables de traitement, difficiles à identifier compte tenu de la pluralité d'acteurs impliqués.

Comment garantir le respect de la vie privée alors que les vies personnelles seront si exposées grâce à la saisie abyssale de données, même par le biais d'avatars ? Comment articuler cela avec le futur règlement de l'UE sur l'IA, y compris son principe de garantie de surveillance humaine ?

Comment les autorités nationales peuvent-elles contrôler et faire respecter les règles en la matière, alors que le métavers opère par nature au-delà des frontières ? (une multitude de juridictions et de régimes juridiques sont susceptibles d'interagir, voire de se contredire). Et comment faire appliquer les décisions de justice dans cette galaxie peuplée d'une armée d'avatars ? Les nouveaux samouraïs virtuels annoncés par la CNIL pourraient être une des solutions...

En septembre 2022, la Commission européenne a annoncé la mise en œuvre de nouvelles initiatives clés à partir de 2023 dans le cadre d'une « Europe adaptée à l'ère numérique » afin de créer des normes et d'accroître l'interopérabilité entre les solutions de protection applicables dans le métavers. Les lois et réglementations sur la protection des données pourraient aussi être amenées à évoluer dans les prochaines années pour s'adapter à ces enjeux.

Le fabricant de dispositif médical, qu’il agisse en tant que responsable de traitement de données, sous-traitant ou simple concepteur de l’outil, devra mettre la protection de la donnée personnelle et plus généralement les enjeux juridiques, au cœur de sa stratégie de croissance dans le métavers.

Des promesses à tenir

On le voit, en ce qui concerne les entreprises, les opportunités sont réelles pour la mise en œuvre d’une nouvelle stratégie de conception, de R&D et de production de DM en cohérence avec la stratégie et les besoins terrestres. Au-delà, il s’agit de nouvelles manières d’interagir avec les professionnels de santé, de réinventer le parcours patient pour pallier les lacunes ou les difficultés ou compléter utilement les actions du monde terrestre, de contribuer à réduire les conséquences des déserts médicaux en facilitant le traitement des patients à distance. Pour le fabricant, l’enjeu sera de créer des dispositifs médicaux de nouvelle génération qui seront adaptés à l’ensemble de ces défis.

Après un fort engouement médiatique, le métavers suscite actuellement des doutes quant à sa pertinence, sa complexité d’accès, les moyens de s’y connecter ou encore pour ses usages pouvant apparaitre trop artificiels et futiles. Ceci dit, les révolutions, ou du moins les fortes évolutions technologiques, peuvent réclamer un temps relativement long pour s’installer utilement et être adoptées à bon escient par les usagers.

Les atouts du métavers sont potentiellement forts et les grandes promesses qu’il affiche font espérer qu'il répondra, dans la santé, à cette tendance de croissance pour le bien des patients, des soignants et du secteur lui-même.


www.degaullefleurance.com

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