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Les dangers liés au MDR : la profession tire la sonnette d’alarme !
Alors qu'il existait 63 organismes notifiés au titre de la directive, on en compte seulement 27 à ce jour habilités à délivrer le marquage CE dans le cadre du RDM. Nous avons interviewé trois associations de professionnels qui alertent sans relâche les pouvoirs publics sur les risques générés.
Par Evelyne Gisselbrecht
Entré en vigueur le 26 mai 2021, le nouveau règlement européen (UE) 2017/745 (MDR) prévoit une période de grâce de 3 ans. En d'autres termes, les dispositifs médicaux disposant d'un certificat valide sous directive 93/42/CE peuvent continuer - sous certaines conditions - à être mis sur le marché pendant la durée de validation de ce certificat, et ce jusqu'au 26 mai 2024 maximum. Si les trois associations que nous avons interviewées s'accordent sur le fait que le passage au MDR était une étape nécessaire pour assurer la sécurité des patients, elles parviennent toutes trois au même constat : cette échéance n'est absolument pas réaliste. « D'ici moins de 27 mois, l’ensemble des dossiers réglementaires de tous les dispositifs médicaux doivent être revus avec des exigences dix fois supérieures, » s'inquiète Guirec Le Lous, président de MedTech in France. « Ce sont 1500 entreprises en France, 32 000 en Europe, soit près de 18 000 produits qui doivent être certifiés par seulement 24 organismes notifiés (ON) dont les délais moyens de traitement des dossiers sont maintenant de plus de 18 mois par produit ».
Et le président de l'AFIDEO, Rodolphe Pfaifer, de déplorer dans sa note du 20 novembre 2021 adressée aux autorités : « Les ON auraient dû tous être certifiés en 2021, mais nous constatons que la période de transition ne sert finalement qu'à rattraper le retard de notification des ON et ne permet aucunement aux fabricants de faire certifier leurs DM à temps. »
Arnaud Renouf, chef de file du collectif FranceDM22, précise quant à lui que la pénurie d'organismes notifiés a non seulement des conséquences sur les délais de traitement des demandes de certification mais également sur les coûts qui deviennent exorbitants. Il souligne que cela défavorise les petits fabricants par rapport aux grosses structures alors qu'ils sont les principaux vecteurs d'innovation de la profession. A titre d'exemple, selon l'AFIDEO, le coût de l'examen, par un ON, d'une demande de certification sous Règlement pour un cotyle de hanche peut atteindre 150k€, ce qui sous-entend que le coût total de l'examen d'une demande de certification sous Règlement de tous les éléments d'une prothèse de hanche peut avoisiner les 450k€. Cela induit immanquablement des arrêts de gamme sur les dispositifs médicaux vendus en faible volume, dont le retour sur investissement n'est plus envisageable, et se traduit au final par une perte de chances pour les malades.
Guirec Le Lous monte au créneau : « Nous tenons à alerter sur les risques à court et moyen terme :
- la perte de compétitivité : les compétences nécessaires à la remise à niveau de ces dossiers réglementaires se trouvent dans les laboratoires de R&D des entreprises du dispositif médical. Actuellement autour de 50 % et jusqu’à 90 % de la capacité R&D des entreprises du secteur est consacrée à la mise à niveau vers le MDR. Ce sont autant d’innovations, de nouveaux produits au service des patients qui ne verront pas le jour. Les entreprises européennes prennent actuellement entre 3 et 5 ans de retard en innovation par rapport aux entreprises américaines et chinoises.
- la délocalisation et la suppression d’emplois industriels : il est matériellement impossible de faire certifier l’ensemble des dossiers réglementaires dans le temps imparti. Les entreprises doivent faire des choix et arrêtent des références, généralement les plus anciennes : jusqu’à 30 % des portefeuilles produits, ce qui représente parfois pas moins de 15 % de leur chiffre d’affaires. Les marchés sont repris par les pays spécialisés dans les produits génériques (Chine, Inde…). Or, la crise du Covid a montré l’importance de maintenir une production nationale de certains produits de première nécessité.
- les ruptures d’approvisionnement : les produits qui n’auront pas le marquage CE sous règlement à temps ne seront plus disponibles pour les patients. Et pour les produits arrêtés qui n’ont pas d’équivalent en Chine, les hôpitaux risquent de se retrouver face à des difficultés d’approvisionnement. Lorsque les chaînes de production auront disparu, il sera trop tard pour activer des dérogations. » Ce problème est encore accentué du fait de la quasi-impossibilité de recourir désormais à la notion d'équivalence - comme le souligne l'AFIDEO - puisque cela nécessite aujourd'hui la signature d'un contrat avec le fabricant du DM référent - et souvent concurrent -, contrat sans lequel l'industriel n'a pas accès aux données cliniques et techniques.
Des litiges entre ON et fabricants sur l'interprétation du MDR
Trois associations avec un même objectif
Partenaire du SNITEM, MedTech in France présente la particularité de représenter uniquement des entreprises dont la production et la R&D sont situées en France et qui, de ce fait, font face à des enjeux spécifiques. Créée en 2013, l'association compte une cinquantaine de membres. Elle fait partie des organismes référents auprès des pouvoirs publics. Son président Guirec Le Lous, dirige également Urgo Medical.
Quant à FranceDM22, il s'agit d'un collectif de fabricants français de DM et de DMDIV qui est né en septembre 2021 pour défendre les intérêts de la profession auprès du Gouvernement et de la Commission Européenne dans le contexte difficile d'application du RDM. Le porte-parole de ce collectif est Arnaud Renouf, président et fondateur de Datexim.
Enfin, l'AFIDEO (Association des Fabricants Importateurs Distributeurs Européens d'implants Orthopédiques et traumatologiques) a annoncé en automne dernier son soutien officiel à FranceDM22. Son président est Rodolphe Pfaifer, Directeur Général du groupe Lépine.
En l'absence de guides d'application suffisamment précis, les ON sont amenés à définir eux-mêmes les règles d'application du règlement lors des évaluations de dossiers. Rodolphe Pfaifer s'interroge : « Nous sommes de plus en plus souvent confrontés à des litiges sur l’évaluation de la criticité des modifications par exemple. Le Règlement prévoit qu’en cas de désaccord de classification d’un DM, l’autorité compétente est en mesure de trancher (article 51). Mais pourquoi, afin de départager ON et fabricant sur les litiges d'interprétation du MDR, ne pas étendre cette compétence des autorités nationales ou encore créer une autorité européenne dédiée ? »
Des propositions concrètes d'amélioration
Les trois associations demandent une prolongation de tous les certificats sous directive jusqu'en mai 2026. L'AFIDEO et FranceDM22 évoquent aussi la possibilité d'un transfert automatique du certificat sous MDR, sous réserve d'absence de signalement de matériovigilance grave.
MedTech in France souhaite pour sa part que tous les produits libérés conformes à la directive puissent être écoulés sans condition jusqu'à la fin de leur péremption, afin de laisser le temps nécessaire à l'enregistrement des produits dans les pays hors UE après marquage MDR et d'éviter des destructions massives de stocks de produits conformes.
Autres revendications communes à l'AFIDEO et à FranceDM22 :
- la rédaction rapide d'un guideline européen pour les objectifs cliniques et les critères d'appréciation de la nature substantielle des modifications de dossiers, dans le but d'éviter une interprétation hétérogène du MDCG par les ON,
- l'intégration des DMI orthopédiques génériques dans la liste des DM exonérés d'études cliniques pré-marquage CE (art 61.8). Cette disposition n'exonèrera pas les fabricants de l'obligation de réaliser des suivis cliniques après commercialisation.
FranceDM22 propose aussi de maintenir les tarifications de vente des DM en vigueur en suspendant les négociations tarifaires du CEPS ou éventuellement de revaloriser les tarifs des fabricants qui produisent en France pour faire face à l'augmentation des coûts de certification qui ont triplé.
Autre piste proposée par MedTech in France : la prise en compte des dépenses réglementaires dans le Crédit Impôt Recherche pour libérer des capacités d'innovation des entreprises.
Enfin, si Guirec Le Lous évoque un soutien au GMed pour former et recruter des auditeurs, ainsi que des mesures d'accompagnement de l'AFNOR pour sa désignation, Arnaud Renouf soutient la possibilité de créer plusieurs ON en France.
Une mobilisation active
Les trois associations multiplient depuis plusieurs mois leurs actions pour alerter les pouvoirs publics. « En ma qualité de chef de file DM dans le cadre du Conseil Stratégique de Filière Santé, indique Guirec Le Lous, les Ministres de la Santé et de l’Industrie m’ont demandé en mai 2020 d’établir un point d’étape du secteur sur ce qui fonctionne et ce qui pourrait être amélioré. Le résultat est le Livre Blanc publié en décembre 2020 dont plus de 55% des mesures ont été reprises par le Président de la République en juin 2021 lors du Conseil Stratégique des Industries de Santé. En octobre 2021, nous avons également été sollicités par la Commission d’Enquête sur la politique industrielle française à l’Assemblée Nationale, pour apporter notre éclairage sur les moyens à mettre en œuvre pour relocaliser l’industrie en France. A cette occasion, nous avons pu alerter sur les difficultés rencontrées par les ON et les entreprises dans le cadre du MDR. Nous travaillons aussi avec nos partenaires associatifs européens du secteur en Allemagne, en Autriche et bientôt en Espagne, Italie et Irlande. Le BVMed, puissante association allemande qui représente 40% des produits européens a aussi publié son inquiétude. Nous espérons que le syndicat européen, MedTech Europe prendra rapidement position aussi. L’association des Organismes Notifiés (Team-NB) a également fait part publiquement, dans son Position Paper du 15 décembre dernier, de son inquiétude quant au risque de pénurie de DM pour les patients en Europe et au nombre insuffisant d’ON.
Nous souhaitons enfin faire connaître les technologies médicales auprès du grand public qui les utilise tous les jours sans le savoir. A ce titre, nous sommes satisfaits des résultats du sondage Ipsos pour le Journal du Dimanche paru le 21 novembre dernier. Il en ressort que pour 63 % des Français, les entreprises françaises du secteur devraient être davantage soutenues. »
Quant à Arnaud Renouf, il a rencontré en novembre dernier la DGE pour évoquer les problèmes économiques liés à la situation actuelle. Par ailleurs, il a participé à l'élaboration d'un courrier qui est en cours de signature auprès des parlementaires de la majorité afin de saisir le ministre de la Santé du dossier.
Un avenir entre les mains des autorités
Une chose est sûre : si les pouvoirs publics ne réagissent pas, la filière va souffrir et de nombreuses PME risquent de disparaître. Selon Arnaud Renouf, on assistera à un ralentissement de l'innovation en santé sur le Vieux Continent au profit de l'Asie. Et Guirec Le Lous de conclure : « Donner deux ans aux PME pour franchir cette marche garantira toujours la sécurité des patients tout en maintenant une capacité d’innovation européenne forte. »