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La fin programmée des prothèses de genou en Chrome Cobalt (CrCo) ?
Les fabricants d'implants à base de CrCo sont aujourd'hui tributaires d'une décision imminente du comité REACH consistant à reclassifier le cobalt métallique en substance potentiellement cancérigène. Une situation qui pourrait bien mettre cette profession en péril et provoquer une situation de rupture sur le marché de la prothèse du genou.
Par Evelyne Gisselbrecht, DeviceMed
Tout commence aux États-Unis avec la publication d'une étude sur les conséquences à long terme des vapeurs de cobalt. Cette étude révèle alors le risque potentiellement cancérigène de ce métal sous cette forme. L'Europe souhaite aller plus loin : reclasser le cobalt métallique, quelle que soit sa forme, en CMR de type 1B dans la réglementation CLP (règlement relatif à la classification,à l'étiquetage et à l'emballage (CE) n° 1272/2008). Autrement dit, considérer le cobalt comme une substance potentiellement cancérigène, mutagène ou toxique pour la reproduction. Dans ce contexte, l'utilisation du cobalt pourrait être interdite dès la mise en application du règlement (UE) 2017/745, au 26 mai 2020, pour les dispositifs suivants :
- invasifs et entrant en contact direct avec le corps humain,
- destinés à (ré)introduire et/ou prélever un médicament, des fluides corporels ou d'autres substances, dont des gaz, dans le corps,
- destinés à transporter ou stocker des médicaments, des fluides corporels ou d'autres substances, dont des gaz, destinés à être (ré)introduits dans le corps,
... à partir du moment où ils incluent plus de 0,1 % (m/m) de cobalt. Seule une justification argumentée sur l'absence de substitution possible selon les exigences bien précises du point 10.4.2 de l'annexe I du nouveau règlement pourrait conduire l'organisme notifié (ON) à accorder le marquage CE au dispositif malgré tout.
Si la décision du Comité REACH à ce sujet n'a pas encore été prise puisqu'elle a été reportée au mois de novembre, les organisations professionnelles européennes ne voient malheureusement aucune possibilité d'influencer cette décision et invitent les fabricants de DM à se préparer à la mise en conformité de leurs dispositifs.
De lourdes conséquences pour les industriels et pour les patients
En admettant que les fabricants parviennent à justifier auprès de leur ON cette absence de solution de substitution, leur argumentaire sera-t-il accepté par l'ON ou risquent-ils de perdre leur marquage CE, ce qui entraînerait dans le même temps un risque de rupture de produits sur le marché ?
Au premier rang des DM concernés, les prothèses de genou en chrome/cobalt dont le taux dépasse largement la limite des 0,1 % puisqu'en moyenne, elles sont constituées à 70 % de cobalt. Rodolphe Pfaifer, le DG du groupe Lépine, ne mâche pas ses mots : « Les conséquences seraient dramatiques pour notre profession, indique-t-il, sans compter que 95 % des prothèses de genou sont réalisées en chrome cobalt à l'échelle mondiale. Je ne vois pas à ce jour de solution de substitution et je ne suis pas certain que la portée de cette décision ait été réellement mesurée. Le chrome cobalt est implanté depuis longtemps (1937 avec le Vitallium) et il ne me semble pas qu'on ait pu démontrer qu'il provoque des cancers sous cette forme. »
Pour Ali Madani, le Directeur de la société de conseil en stratégie Avicenne, il est impossible d'imaginer que le cobalt soit interdit pour les prothèses de genou à l'horizon 2020. « C'est un peu comme si on décidait d'interdire le métal pour les voitures, précise-t-il. A ce jour, il n'y a pas réellement de solution de remplacement ». Il faut dire que le CrCo présente des propriétés tribologiques et mécaniques exceptionnelles que l'inox est loin d'égaler à ce jour.
Par ailleurs, le remplacement du CrCo par un autre matériau - si tant est qu'il existe - risque d'imposer aux fabricants un grand nombre d'essais (re-validation des procédés, biocompatibilité...), une revue de leur évaluation clinique, l'identification de nouveaux risques, autant de démarches très coûteuses dont les délais ne permettraient pas à ces industriels d'être prêts d'ici mai 2020.
Ce bouleversement réglementaire aura une autre conséquence : l'obligation pour les fabricants d'inclure dans l'étiquetage de leur DM la présence de cobalt en tant que substance CMR 1B. « On ne peut pas à ce jour mesurer l'impact qu'auront ces étiquettes sur les chirurgiens et sur les patients, indique Ali Madani, mais il est clair que les industriels sont inquiets. »
Peut-être un sursis pour certains DM
Les fabricants dont les produits seront déjà sur le marché le 26 mai 2020 pourront tirer profit de leur certificat de marquage CE jusqu'à expiration, à condition toutefois de respecter certaines exigences, comme le fait de ne procéder à aucune modification ni sur leur dispositif, ni sur son environnement de production. Ils devront néanmoins s'être mis en conformité le 26 mai 2024 au plus tard.
A noter que d'autres substances pourraient être concernées par ces mêmes restrictions à l'horizon 2020 : celles déjà considérées comme étant CMR 1A ou 1B ainsi que les perturbateurs endocriniens.