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Jumeau numérique : vers le corps humain complet et au-delà
Il y a 10 ans naissait Living Heart, un projet de modélisation du cœur humain qui permet notamment d'intégrer l'environnement de fonctionnement dans la simulation des implants cardiaques. Nous avons interviewé Claire Biot, de Dassault Systèmes, pour faire le point sur ce projet qui en appelle d'autres.
Par Patrick Renard
Pouvez-vous nous rappeler en quoi consiste le projet Living Heart ?
Le projet "Living Heart" a pour objectif de fédérer les connaissances et le savoir-faire du domaine cardiovasculaire par une approche collaborative entre tous les acteurs de la filière : chercheurs, industriels, régulateurs et médecins. Il a ainsi permis de créer et développer le "Living Heart Model", jumeau virtuel humain du cœur, référentiel collaboratif des savoir et savoir-faire. Accessible à travers le portefeuille de solutions de Dassault Systèmes, le Living Heart Model permet de multiples expériences d’usage, du test de concept initial pour des industriels jusqu'à l’étude de situations spécifiques pour des praticiens.
En quoi peut-il être utile aux fabricants de dispositifs médicaux ?
Pour les industriels du secteur de la santé, l’accès au jumeau virtuel du cœur permet de tester tout concept d’innovation le plus tôt possible dans le processus de R&D, à un coût réduit, tout en reproduisant un environnement crédible.
Agissant comme un référentiel collaboratif pérenne, ce jumeau virtuel va accompagner la mise au point et le développement du produit de santé depuis son idéation jusque sa phase post-market. Il permet une flexibilité maximale au début du processus de conception tout en étant compatible avec les contraintes fortes imposées aux industriels du secteur en fin de cycle de développement.
Le jumeau virtuel du cœur est par exemple utilisé couramment pour la mise au point et le développement de nouveaux stents, dispositifs médicaux valvulaires ou pacemakers, couvrant ainsi les différentes dimensions du cardiovasculaire.
Living Heart : un modèle à suivre pour tester des implants virtuels
Qu’en est-il de la collaboration engagée il y a dix ans avec la FDA autour de l’homologation des dispositifs cardiovasculaires et des essais in silico ?
Une étape majeure a été franchie en novembre 2023 avec la publication par la FDA de sa recommandation promouvant la "crédibilité des approches de modélisation et simulation pour les dispositifs médicaux".
A l’occasion du CES 2024 de Las Vegas, Dassault Systèmes a présenté le bilan du projet "Enrichment", une collaboration avec la FDA et d’autres acteurs du secteur pour exemplifier des cas d’usage représentatifs de cette recommandation dans le monde cardiovasculaire. Devant faire l’objet d’une publication prochaine, le In Silico Clinical Trial (ISCT) Playbook permettra de mieux appréhender le potentiel des jumeaux virtuels pour la recherche clinique, en offrant un guide sur leur intégration dans la conception et l'exécution des essais.
Avec ce projet, Dassault Systèmes montre comment des patients virtuels peuvent augmenter les chances de succès d'un essai réel, réduire la population nécessaire à l'essai et accélérer sa validation dans le cadre du processus d'examen réglementaire.
Le modèle numérique Living Heart disponible dans le cloud
Où en est le projet de jumeau numérique du cerveau, initié en 2022 ?
Les chercheurs en neurosciences ont senti le besoin de développer une approche efficace et modulable permettant d’adresser l’organisation cérébrale au niveau mésoscopique et macroscopique afin de simuler, reproduire et approfondir l’immense répertoire des activités et des dynamiques cérébrales. Cette démarche a donné naissance au Cerveau Virtuel (The Virtual Brain), environnement neuro-informatique de virtualisation des structures anatomiques et des activités cérébrales. Il combine l'information structurelle de cerveaux individuels en 3D et la simulation de l’activité du réseau entre aires neuronales. Il s’agit d’un outil puissant de recherche, qui offre la possibilité d’utiliser des données de cohortes cliniques et de tester des théories avancées sur la dynamique cérébrale. Le cerveau virtuel sait évaluer de manière systématique les paramètres neurodynamiques mésoscopiques afin de refléter les spécificités de chaque individu.
Une version du cerveau virtuel, le "Virtual Epileptic Patient", est actuellement en essai clinique, avec comme promoteur l’Assistance publique – Hôpitaux de Marseille, dans le cadre du projet Epinov, sur une problématique d’épilepsie pharmaco-résistante. Le recrutement est déjà bien avancé.
A quand la modélisation du corps humain dans son intégralité ?
Nous venons d’annoncer le projet MediTwin via le consortium constitué de 7 Instituts Hospitalo-Universitaires (IHUs), du CHU de Nantes, de l'Inria, des start-up associées et de Dassault Systèmes. Le projet MediTwin proposera des jumeaux virtuels personnalisés des organes, du métabolisme, des tumeurs cancéreuses, pour mieux diagnostiquer et mieux soigner. Sept nouvelles pratiques médicales seront développées à partir des jumeaux virtuels, dans les domaines de la neurologie, de la cardiologie, de l’oncologie.
Par ailleurs, Dassault Systèmes promeut d’autres créations de jumeaux virtuels d’organes à travers des collaborations universitaires, via "3DExperience Edu", ou son laboratoire d’accélération de l’innovation, le "3DExperience Lab". Les organes concernés par ces collaborations incluent notamment l’œil, le foie, le poumon et le crâne.
Bien entendu, la cible à terme est d’avoir un jumeau virtuel complet du corps humain, mais chacun des jumeaux virtuels existants a déjà beaucoup de valeur, dans la mesure où il permet de répondre à des cas d’usage concrets, pour les fabricants de dispositifs médicaux ou les médecins.
Dassault Systèmes a annoncé travailler aussi sur l’expérience patient. De quoi s’agit-il ?
C'est quelque chose qui est au cœur de nos préoccupations. Pour aider les patients à vivre avec la maladie, l’environnement dans lequel ils sont soignés est reproduit, en collaboration avec l’Institut Hartmann, l’un des centres les plus en pointe en radiothérapie, basé à Paris. Une salle de traitement de radiothérapie est un lieu impressionnant, souvent anxiogène, pour un patient fragilisé par la maladie et qui va y réaliser un épisode de son traitement par irradiation, quelquefois le premier.
Ce projet consiste en une reconstitution en 3D de tous les composants techniques et protocolaires du traitement, à savoir : la salle, le bras robot Cyberknife, la position du patient, les modalités et les étapes des séances. L'expérience virtuelle est accompagnée par un membre de l’équipe soignante. Cette personne va faire vivre au patient l’expérience et va répondre à toutes les questions propres à la mise en situation. L’utilisation des outils de simulation 3D pour la préparation des patients au traitement est une première en radiothérapie.
Par ailleurs, Medidata, leader de la digitalisation des essais cliniques, met l’expérience des patients au cœur de sa stratégie, en accompagnant le mouvement de décentralisation des essais cliniques – les essais cliniques sortent de l’hôpital et s’adressent au patient chez lui, à domicile – et en associant un comité de patients à l’expérience utilisateur de ses Apps.
Faut-il s’attendre à d’autres applications de la modélisation en 3D dans le secteur de la santé ?
Les possibilités offertes par le jumeau virtuel sont innombrables : elles sont une manière d’étendre et de parfaire le monde réel. Pour améliorer les expériences de santé, Dassault Systèmes travaille sur différents types de jumeaux virtuels : celui du corps humain, bien sûr, qui fait l’objet de notre entretien ce jour. Mais aussi le jumeau virtuel du produit de santé (médicament ou dispositif médical), qui va entrer en contact avec le patient. Celui de l’hôpital également, pour comprendre le contexte dans lequel le soin est délivré. Cela permet d’optimiser l’organisation opérationnelle des parcours patients entre les différentes entités (consultations, urgences, blocs opératoires, radiologie, services des spécialités….) ou de maximiser la portée de futurs investissements en simulant leur impact. Et enfin, le jumeau virtuel du système de soins dans son ensemble, pour comprendre la manière dont circulent les flux financiers et faciliter la transition vers le "value based care" (financement des soins fondé sur la valeur).