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Concevoir un dispositif de tri cellulaire microfluidique à l’aide de la simulation

Publié le 16 septembre 2019 par Patrick RENARD
Réseau de trieurs multiplexés.
Crédit photo : Cellular Highways

Des chercheurs de la société TTP de Cambridge, au Royaume-Uni, ont développé un nouveau dispositif microfluidique de tri cellulaire destiné au traitement du cancer grâce à la simulation multiphysique. Leur choix s'est porté sur le logiciel Comsol Multiphysics.

Par Gemma Church, journaliste indépendant (geditorial.com)

Le dispositif de tri cellulaire créé par TTP (The Partenariat Technologique) pourrait préfigurer un nouveau procédé de fabrication pour les thérapies cellulaires. En plus du cancer, il devrait permettre de traiter une multitude de maladies, avec de nombreuses autres applications en recherche fondamentale, en diagnostic et en bioproduction.

Les systèmes actuels de tri cellulaire permettent d'isoler, dans le cadre de la recherche biologique, des cellules aux phénotypes rares ou des sous-populations de cellules qui se comportent différemment. Cependant, ces systèmes de tri cellulaire ne sont pas adaptés aux applications cliniques. Robyn Pritchard, consultant en sciences du vivant chez TTP, explique : "Il y a beaucoup de développements prometteurs dans le domaine de la thérapie cellulaire, mais ils nécessitent une meilleure technologie de séparation des cellules, car les systèmes de tri actuel ne permettent pas de produire des thérapies."

La technique mise au point par TTP a donné lieu à la création d'une entreprise, Cellular Highways, qui travaille actuellement sur le premier produit, Highway 1, avec la fabrication à l'échelle pilote de la puce de tri MEMS et l'adaptation de la technologie à des systèmes de tri en parallèle.

La principale méthode de séparation des cellules est le tri par jet d'air, connue aussi sous le nom de FACS (fluorescence-activated cell sorting). Les cellules sont d'abord mesurées individuellement au moyen d'un laser, puis diffusées dans l'air sous forme de gouttelettes qui sont déviées individuellement par des électrodes en haute tension. Les systèmes à jet d'air disponibles sur le marché ne conviennent pas à un usage thérapeutique en raison des taux relativement faibles de traitement cellulaire, du besoin d'opérateurs hautement qualifiés et des risques pour le patient et l'opérateur. Ces risques sont liés à la manipulation de fluides non stériles et à la production de gouttelettes dans l'air, susceptibles de contenir des agents pathogènes.

Un tri de cellules actionné actionné par vortex

TTP a mis au point une nouvelle technologie de tri microfluidique, le Trieur de Cellules Actionné par Vortex (VACS, pour Vortex-Actuated Cell Sorter). Tout comme le tri par jet d'air, les cellules marquées par fluorescence sont mesurées de façon optique et les décisions de tri des cellules sont prises en temps réel.

Figure 1 - Géométrie et composants du trieur cellulaire actionné par vortex (source Comsol).

Le système VACS se compose d'un canal d'entrée et de deux canaux de sortie utilisant une nouvelle géométrie pour trier les cellules. L’un des canaux de sortie est destiné aux déchets cellulaires, l’autre aux cellules d'intérêt (Figure 1).

Ce nouveau trieur pourrait résoudre bon nombre des problèmes associés aux systèmes existants, comme le souligne Robyn Pritchard : "Pour la thérapie cellulaire, le principal défi est de trier assez rapidement. Tout trieur à flux unique, y compris ceux à jet d'air, a une vitesse limite maximale de fonctionnement liée au seuil de destruction des cellules. Pour aller plus vite, il faut donc utiliser la technique du multiplexage : faire fonctionner plusieurs trieurs de cellules en parallèle. Pour créer un trieur de cellules multiplexé sans rendre le système de mesure et de contrôle trop compliqué, la meilleure approche consiste à minimiser la taille des trieurs individuels. De cette façon, un nombre suffisant de cellules peuvent être placées sous une seule lentille d'objectif de microscope. L'équipe cherchait à traiter environ un demi-milliard de cellules sanguines purifiées en une heure ; soit 10 à 20 fois plus que ce que les trieurs de cellules conventionnels peuvent gérer."

Robyn Pritchard ajoute : "Le plus grand défi était de fabriquer un trieur de cellules beaucoup plus petit fonctionnant à la même vitesse que les instruments conventionnels".

Figure 2 - Résultats de simulation montrant le fonctionnement d'un dispositif VACS. Le tracé (en haut) montre la position de l'actionneur à microrésistance, qui produit la bulle de vapeur, avec représentation vectorielle du vortex. Les images (en bas) à différents instants montrent la cellule entrainée par le tourbillon, se déplaçant le long des lignes de courant, avant que la cellule n'entre finalement dans le canal de tri (source TTP).

Le système VACS est plus sûr que les systèmes à jet d'air car il est clos et ne produit pas d'aérosols dangereux. Il est également jetable, ce qui réduit le risque de contamination croisée entre les échantillons. Enfin, il est pratique et portable, facile à automatiser et constitue une solution rentable pour la production de thérapie cellulaire selon les bonnes pratiques de fabrication (BPF).

Grande vitesse et petits espaces

Le dispositif VACS avec ses actionneurs mesure 1 mm par 0,25 mm, et peut être monté sur une puce d’environ 1 mm de hauteur, tuyauterie incluse. "Nous croyons que cela fait de notre dispositif la plus petite technologie de trieur cellulaire à haute vitesse au monde", affirme Pritchard.

"L'équipe a commencé par établir une liste restreinte d'actionneurs assez petits pour tenir dans le dispositif. On peut notamment mentionner un élément de chauffage en film mince, produisant des bulles de vapeur, à la fois petit (environ 0,1 mm de large) et facile à fabriquer. Cependant, les expériences et les simulations menées avec le logiciel COMSOL Multiphysics ont rapidement montré que les actionneurs listés étaient à la fois trop rapides et trop faibles pour déplacer une cellule par eux-mêmes."

Robyn Pritchard développe : "Nous avons alors eu l’idée d’amplifier le déplacement causé par l'actionneur en utilisant les principes de la microfluidique inertielle". Il s'agit d'un nouveau domaine de recherche très en vogue, qui utilise les effets inertiels pour manipuler les cellules sur de petites échelles de longueur. "Nous avons émis l'hypothèse que si nous pouvions utiliser l'actionneur pour générer un petit tourbillon, ce vortex pourrait s'écouler en aval avec une cellule d'intérêt, la faisant passer progressivement du flux de déchets vers le flux de tri. L'idée du VACS était née." 

Boucler la boucle avec la simulation multiphysique

"Il était impossible de concevoir des dispositifs VACS sans simulation multiphysique", précise Robyn Pritchard. Ces effets microfluidiques sont très éloignés de l'expérience quotidienne, et jusqu'à récemment, personne ne croyait que les effets inertiels pouvaient être importants dans les dispositifs microfluidiques. De plus, chaque utilisation du dispositif est coûteuse et nécessite beaucoup de temps pour la réalisation des tests.

La simulation multiphysique a joué un rôle déterminant dans la conception du dispositif. En utilisant un modèle de dynamique des fluides, l'équipe du TTP a simulé l'effet de la croissance et de l'effondrement de la bulle de vapeur. Cette simulation a été réalisée à l'aide d’une technique de paroi mobile : cela revient à déplacer localement la paroi fluide-solide d'une valeur réaliste pour simuler l’effet de la taille variable de la bulle.

Figure 3. Trajectoires des cellules à trier (vert) et des cellules à évacuer (rouge) dans le dispositif VACS (source TTP).

Robyn Pritchard explique : "Cela permet de simuler le déplacement de la surface de la bulle de vapeur impulsée pendant 10 μs sans avoir besoin de modéliser les physiques complexes d’une grande déformation d’une telle bulle. Grâce à cette nouvelle approche de modélisation, nous avons pu tester entre 20 et 30 géométries pour valider rapidement l’intérêt du tourbillon inertiel. Ceci nous a permis d’avoir suffisamment confiance avant de construire le véritable dispositif". Suite aux nombreuses itérations réalisées au préalable en simulation (Figure 2), le prototype physique a fonctionné comme prévu, dès la première fois.

Dans le système VACS, lorsqu'une cellule d'intérêt est identifiée, l'actionneur crée une bulle de vapeur thermique, qui se dilate et s'effondre en 10 μs. Cela crée un tourbillon inertiel qui persiste pendant 200 μs et dévie la cellule de sa trajectoire initiale d’environ 20 μm. La cellule se déplace ensuite vers le canal de tri où elle est collectée. Toutes les autres cellules s'écoulent automatiquement dans un canal d'évacuation des déchets. Une image superposée des trajectoires de tri et des déchets est présentée en figure 3.

Valider le produit final

Figure 4 - Trieur de tourbillons inertiels avec 16 canaux d'entrée et 16 trieurs individuels (source TTP).

L’équipe a également utilisé la simulation multiphysique pour valider ses procédés de fabrication. Robyn Pritchard souligne : "Nous avons dû faire face à divers problèmes de démarrage lors de la fabrication des puces, et la simulation était souvent notre meilleur outil pour déterminer ce qui causait le problème et le résoudre. En particulier, certaines caractéristiques importantes de notre dispositif ressortaient différemment des spécifications selon les procédés de microfabrication. Nous avons utilisé la simulation pour ajuster le dispositif afin d'améliorer les performances en fonction de ce que nous pouvions construire en réalité."

L'équipe a construit la version multiplex de la puce (Figure 4). La simulation multiphysique a été utilisée pour tester plusieurs aspects de cette puce. Robyn Pritchard ajoute : "Avec 16 canaux d'entrée et 16 trieurs individuels, nous travaillons avec un système microfluidique très complexe dans lequel nous devons nous assurer que des quantités égales de fluide et de cellules circulent dans chaque canal."


www.comsol.fr

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