Comment la médecine in silico peut accélérer l’innovation en matière de DM
La disponibilité de modèles de simulation de corps humains virtuels a beaucoup à apporter dans le développement de dispositifs médicaux innovants, mais aussi au niveau des essais cliniques. MathWorks nous explique ici pourquoi et comment.
Par le Dr Visa Suomi, Medical Devices Industry Manager chez MathWorks
La complexité des dispositifs médicaux modernes croît avec l'amélioration de leurs fonctionnalités, qui représentent un bénéfice pour les patients, mais augmentent également les risques d'erreurs de conception. Par conséquent, il est important de tester la sûreté et l'efficacité des nouveaux dispositifs médicaux à de multiples reprises durant leur cycle de développement. La validation et l'évaluation clinique des équipements médicaux peut être réalisée sur des humains ou des animaux vivants (in vivo), mais c'est une procédure coûteuse, chronophage, et parfois même risquée pour les sujets de l'expérience. Une autre solution consiste à effectuer les tests sur des imitations de tissus humains physiques ou encore in vitro. Cela permet de réduire les délais et les coûts, mais cela ne reflète pas exactement un être humain réel.
La question se pose alors de savoir s'il est possible d'éliminer les inconvénients de l'évaluation in vivo tout en préservant ses avantages. La médecine in silico peut être un moyen d'y parvenir : elle consiste à utiliser des modèles humains virtuels pour remplacer les personnes physiques lors des tests des nouveaux dispositifs médicaux. L'objectif de ces modèles virtuels est de répliquer l'anatomie et la physiologie humaines avec une précision telle qu'ils peuvent être utilisés comme bancs d'essais dans les simulations informatiques lors du développement de dispositifs médicaux.
Ainsi, une conception de respirateur peut être validée en utilisant un modèle de poumon réaliste d'un patient virtuel afin de garantir sa sûreté et ses performances. De façon similaire, une pompe à insuline avec surveillance du glucose peut être validée en utilisant un modèle de patient virtuel avec des niveaux de glucose variables.
L'industrie des DM commence à adopter la modélisation et la simulation
Les industries automobile et aérospatiale utilisent les modèles et simulations informatiques pour leurs processus de conception depuis que leur disponibilité s'est généralisée. Travailler avec des modèles de simulation en R&D présente des avantages manifestes dans les projets à grande échelle tels que la conception d'un nouvel avion, où l'utilisation de prototypes réels est très coûteuse et pas toujours pratique, ni même faisable. Les entreprises de ces industries ont donc pu mesurer la valeur que représente l'utilisation de simulations informatiques avec des modèles d'environnements comme méthode de validation des conceptions, utilisable très tôt dans le processus de développement, avant de lancer les tests en conditions réelles.
Toutefois, dans l'industrie des dispositifs médicaux, l'adoption de la modélisation et de la simulation a été relativement lente, en particulier en ce qui concerne la validation et l'évaluation clinique. Pourquoi les entreprises du secteur n'ont-elles pas encore pleinement adopté la modélisation et la simulation, malgré leurs avantages évidents ? Le consortium MDIC (Medical Device Innovation Consortium) a mené une enquête auprès de ses membres afin de comprendre les freins à l'adoption de la modélisation et la simulation informatiques dans le domaine. La majorité des entreprises interrogées (75 %) indique que les incertitudes réglementaires sont la raison principale ; le manque d'expertise (42 %), le coût (34 %) et la maturité scientifique (32 %) sont également mentionnés. Une partie de l'incertitude peut découler de la nouveauté du processus réglementaire. De plus, il est possible qu'il existe un manque d'expérience global à l'échelle de l'industrie pour établir la crédibilité scientifique des modèles informatiques.
MathWorks est l'éditeur des logiciels Matlab et Simulink, dédiés respectivement au calcul mathématique et à la simulation numérique.
Simulink est souvent utilisé pour concevoir des systèmes complexes, en s'appuyant sur la modélisation pour prévoir leur comportement et leurs performances.
Malgré ces défis, de nombreuses entreprises de technologies médicales ont déjà constaté les avantages de la modélisation et de la simulation dans leur travail de R&D. Ainsi, Cambridge Consultants est parvenu à créer une nouvelle conception de respirateur en tout juste 47 jours, en exploitant la simulation. Des start-up innovantes ont également levé certains obstacles liés à l'expertise et au coût pour les fabricants de dispositifs médicaux, en offrant des services logiciels de conception d'équipements et d'outils de validation. Des services tels que v-Patients offrent un éventail de modèles humains virtuels, que les entreprises peuvent utiliser dans un environnement de simulation afin de valider leurs dispositifs médicaux. Les applications de ce type ne représentent toutefois que les prémices des possibilités que les modèles humains virtuels pourront offrir à l'avenir au domaine de la santé.
Les essais cliniques in silico représentent l'avenir
Le terme essais cliniques in silico fait référence à l'utilisation de modèles spécifiques aux patients afin de constituer des cohortes virtuelles pour l'évaluation clinique de nouveaux dispositifs médicaux. Ces essais virtuels présentent plusieurs avantages par rapport aux études cliniques physiques. Les essais in silico permettent de générer des milliers de scénarios de simulation et de patients virtuels différents, ce qui autorise ainsi des études cliniques à une échelle bien supérieure. Outre le fait de garantir la sûreté du dispositif médical dans différents contextes cliniques, l'évaluation des performances spécifiques à chaque patient permet également d'identifier les types de patients manifestant la meilleure réponse au traitement. De plus, les entreprises constatent une réduction des délais et des coûts liés à la conduite d'études cliniques, tout en bénéficiant d'une accélération du parcours suivi par les nouveaux produits, du stade des études pré-cliniques aux études cliniques jusqu'à la mise sur le marché.
Les autorités de régulation soutiennent également l'utilisation de preuves numériques issues de populations de patients virtuels pour l'approbation de nouveaux dispositifs. Du côté des Etats-Unis, la FDA a proposé une feuille de route de politique stratégique pour l'utilisation des essais in silico dans l'évaluation réglementaire des nouveaux dispositifs médicaux. Le Parlement Européen a également adopté récemment des amendements qui mentionnent spécifiquement les essais cliniques in silico. En outre, des consortiums tels que l'Avicenna Alliance et le projet In Silico World ont été créés afin de réunir différents acteurs du domaine de la santé dans le but d'accroître l'adoption de la médecine in silico et de développer des normes pour les bonnes pratiques de simulation (GSP pour Good Simulation Practice).
De façon générale, les études in silico vont réduire la nécessité des tests in vivo et permettre de mener des essais cliniques mieux planifiés, impliquant moins de patients. Il reste à voir si les essais in silico pourront à l'avenir remplacer intégralement les personnes humaines réelles dans les études cliniques. Toutefois, les avantages qu'ils procurent pour accélérer l'innovation de produits et introduire sur le marché des technologies permettant de sauver des vies sont déjà évidents aux yeux de tous.
La transformation virtuelle, c'est maintenant
Dans le marché actuel de la santé, en constante évolution, l'industrie des dispositifs médicaux se voit contrainte d'évoluer et d'identifier de nouvelles solutions pour réduire les délais de commercialisation des produits innovants, sans compromettre leur qualité ni la sécurité des patients. Si les entreprises veulent rester compétitives, elles doivent exploiter tout le potentiel de la modélisation et de la simulation informatiques dans leurs processus de R&D. Cette approche leur permettra de réduire les délais requis pour la validation des conceptions tout en améliorant la qualité, les performances et la sûreté de leurs produits.