Un capteur et une batterie miniaturisés pour lutter contre le glaucome
Issue de recherches au CEA-Leti, la start-up Injectpower produit des microbatteries révolutionnaires, destinées à des solutions de mesure ultra-miniaturisées pour le médical. Première application : l'implant d'Injectsense, capable de surveiller la pression intra-oculaire en continu pendant des décennies.
Le glaucome est une affection oculaire complexe caractérisée par des lésions du nerf optique, généralement causées par une augmentation de la pression à l'intérieur de l'œil. S'il n'est pas traité, il peut évoluer d'une cécité périphérique à une cécité totale. Cette maladie est l'une des principales causes de cécité irréversible dans le monde, puisqu'elle touche plus de 70 millions de personnes et que ce nombre est appelé à augmenter.
Le glaucome est particulièrement préoccupant en raison de sa nature insidieuse : il se développe souvent sans symptômes perceptibles jusqu'à ce qu'une perte de vision importante se produise. Un dépistage précoce et un traitement visant à réduire la pression intra-oculaire (PIO) sont essentiels pour gérer la maladie et éviter qu'elle n'évolue vers la cécité.
Mesurer la pression intra-oculaire
Injectsense bénéficie, pour son capteur, du Breakthrough Device Program, dispositif qui a été mis en place par la FDA en 2018 pour permettre aux innovations de rupture d’accéder rapidement au marché américain.
La PIO est dynamique : elle fluctue continuellement en suivant un cycle circadien, avec des pics de pression se produisant surtout pendant le sommeil, ce qui, avec le temps, peut endommager le nerf optique.
Malheureusement, la technologie actuellement utilisée pour mesurer la PIO, appelée tonométrie, ne fournit qu'un instantané statique de la pression pendant la journée dans le cabinet d'un ophtalmologue. Les patients ne viennent généralement que 3 ou 4 fois par an pour un bilan de santé. Les médecins n'ont aucune indication sur l'évolution de la PIO le reste du temps.
Un capteur de 2 mm3 dans l’œil
La medtech américaine Injectsense a entrepris de répondre à ce besoin du marché en mettant au point un capteur implantable ultra miniature, plus petit qu'un grain de riz (2,5 x 0,6 mm). Injecté dans l'œil, ce capteur est capable de mesurer la pression 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, pendant des décennies. Le dispositif, implanté au cours d'une procédure qui prend 5 minutes dans le cabinet de l’ophtalmologue, peut échantillonner la PIO toutes les 30 minutes (programmable à distance). Il stocke les données et les télécharge en toute sécurité vers un téléphone et le cloud, une fois par semaine, via une paire de "lunettes intelligentes".
Dans un premier temps, le système aidera les médecins à comprendre la pression de base spécifique à un patient et à définir un profil de référence de la PIO sur une période étendue. Il enverra ensuite des alertes en cas de débordement du profil afin d’optimiser les traitements de manière ad hoc et gagner ainsi en efficacité thérapeutique pour stopper l’évolution de la maladie.
Alimenter le capteur : un défi de taille
Pour que le capteur fonctionne de manière autonome pendant plusieurs décennies, il était fondamental d'intégrer une microbatterie rechargeable capable de tenir dans les 2 mm3 de l'implant.
C'est sur la base de ce premier besoin non satisfait qu'a été créée en France la société Injectpower, qui développe et produit des microbatteries Lithium-ion hors du commun. La technologie sous-jacente est issue de plus de 20 années de développement en microélectronique au CEA-Leti, où les équipes de recherche ont mis au point une solution tout solide (électrodes et électrolyte) à forte densité énergétique, qui peut être intégrée directement au cœur du capteur en silicium, sans risque d’échauffement ou d’explosion.
Injectpower a signé un accord de licence technologique avec le Leti pour une utilisation exclusive mondiale de plus de 40 familles de brevets, pour le marché médical. Des accords de coopération et de développement ont aussi été mis en place dans le but de personnaliser les premières microbatteries pour Injectsense ainsi que pour d'autres clients du secteur médical à la recherche de solutions de stockage d’énergie ultra miniaturisées.
Après 4 années de développement et l'apport de plus de 6.5 M€ provenant d’investisseurs privés (dont le groupe IDEC) et de financements complémentaires, Injectpower passe maintenant à la vitesse supérieure. La société construit, dans la "silicon valley" française, près de Grenoble, une usine qui sera en mesure de produire des millions de microbatteries par an.
Une densité 5 à 10 fois supérieure à celle des produits concurrents
La technologie d'Injectpower s’appuie sur des techniques de fabrication issues du milieu du semiconducteur, offrant une fiabilité élevée et une grande agilité de conception, en phase avec les exigences du marché médical. Aussi fines qu’un cheveu (100 µm d’épaisseur), les microbatteries sont constituées de couches actives (oxydes de cobalt lithiés) 5 à 10 fois plus épaisses que l’état de l’art concurrentiel. « Cela permet d’atteindre des densités d’énergie 5 à 10 fois supérieures (autour de 200 à 250 Wh/L pour une tension délivrée de 3,9V) », souligne Philippe Andreucci, CEO et co-fondateur d'Injectpower. Les capacités fournies, selon les conceptions disponibles, s’échelonnent de quelques µAh jusqu’à quelques mAh, sur plusieurs milliers de cycles en durée de vie.
Les batteries ont été testées avec succès et Injectsense se prépare à les intégrer dans le courant de l'année. Le capteur est conçu pour que l'électronique, y compris la batterie, soit séparée des fluides à l'intérieur du corps. Plutôt qu'un emballage qui encapsule le dispositif, c'est le dispositif lui-même qui constitue l'emballage : il est hermétiquement scellé et recouvert d'une couche protectrice réalisée par dépôt de couches atomiques (ALD). Des versions préliminaires du capteur ont fait l'objet d'essais approfondis sur des animaux sans aucun événement indésirable (absence d’inflammation ou d’infection) et les premières études sur l'homme sont prévues pour le second semestre 2024.
Une recharge par induction via les lunettes intelligentes
Pour l'application au glaucome, le capteur intégré avec sa batterie est placé dans un support conçu sur mesure, puis préchargé sur un injecteur. Le capteur est injecté dans l'œil de la même manière que des injections intravitréennes de médicaments sont réalisées chaque jour pour des millions de patients atteints de DMLA. Le capteur est pratiquement invisible et s'ancre automatiquement pour fournir des données sur la PIO pendant des années.
Une fois l’implantation effectuée, les patients peuvent utiliser des lunettes intelligentes pour télécharger les données relatives à la PIO mais aussi recharger les batteries des capteurs en quelques minutes seulement, par induction, à raison d’une fois par semaine.
Des microbatteries susceptibles d'alimenter d'autres types d'implants
Proposée en direct aux professionnels de santé, la solution complète et implantable co-développée par Injectsense et Injectpower s'adresse aussi à des fabricants d’implants déjà établis. « Elle doit être considérée comme une véritable plate-forme de mesure autonome destinée au développement d'autres applications de monitoring pour de nombreuses maladies chroniques », précise Philippe Andreucci. « Typiquement dans les domaines cardiovasculaire ou urologique ».
La solution a ainsi déjà démontré sa capacité à mesurer la pression intracrânienne à façon, pour les patients atteints d'hydrocéphalie. De nombreuses autres pathologies peuvent être ciblées.
La microbatterie d’injectpower peut elle-même venir alimenter d’autres types de capteurs ou de systèmes thérapeutiques implantés innovants (neurostimulation, délivrance de médicaments, etc.) afin de favoriser l’émergence d’une nouvelle classe de dispositifs toujours plus miniaturisés et performants.