Quatre industriels du DM témoignent sur la collecte de données cliniques
Lors de la Journée de la Recherche Clinique organisée par l’AFCROs, un atelier portant sur la collecte de données pour l’évaluation clinique du Dispositif Médical s’est tenu, animé par Céline Fabre et Alice Sanchez-Ponton du Groupe Dispositif Médical de l’AFCROs. Retour sur les points forts de l’évènement.
Par Maurice Bagot d'Arc et Christophe Clément du groupe AFCROs-DM
Comme l'a exposé Céline Fabre qui a démarré l'atelier, le parcours du dispositif médical (DM) avant sa mise sur le marché impose d’en évaluer l’efficacité, la sécurité mais aussi la qualité et l’expérience utilisateur. Cela nécessite une collecte de données robustes, répondant à différents objectifs selon la phase de développement du DM, et soulève différentes questions :
- Comment recueillir efficacement des données cliniques ?
- Comment s’assurer de la qualité des données recueillies ?
- Comment évaluer l’expérience patients ?
- Comment valoriser une base de données cliniques ?
Les données collectées lors du développement du DM peuvent servir à l’obtention du marquage CE mais aussi à l’accès au marché et/ou à l’obtention du remboursement.
Quel que soit l’objectif, leur qualité est primordiale pour évaluer la conformité d’un DM aux exigences de sécurité et de performance et apporter un niveau de preuve clinique suffisant.
L’intégration de données multi-sources dans l’évaluation du DM permet d’obtenir des résultats sur des aspects multidimensionnels (cliniques, qualité de vie, impact organisationnel…) et l’utilisation de méthodologies adaptées à chaque type de données est également indispensable : questionnaire PROMs/PREMs (Patient-Reported Outcomes/Experience Measures), analyse de données secondaires, bras comparateurs externes.
Les problématiques posées par la collecte des données pour l’évaluation clinique du DM ont été abordées à travers l’exemple de quatre sociétés distinctes.
Les enjeux de la collecte de données en soins primaires
En France, les soins primaires font intervenir plusieurs types de professionnels de santé (médecins, sage-femmes, dentistes, pharmaciens, infirmiers, kinésithérapeutes,…), les médecins généralistes jouant le rôle de coordonnateurs du parcours de soin. Ces soins primaires représentent la majeure partie des soins dispensés dans notre système de santé, avec environ 300 millions d’actes par an (de Pouvourville, 2006).
White, en Caroline du Nord, estimait en 1961 que dans une population de 1000 adultes suivis pendant un mois, 750 signalaient un trouble de santé, 250 consultaient un médecin, 9 étaient hospitalisés, 5 dirigés vers un autre médecin et 1 hospitalisé dans un centre universitaire. Ce travail a été plusieurs fois réactualisé par divers auteurs et sur différents territoires (1976, 1996, 2001, 2003) pour aboutir à chaque fois à un même constat : la majorité des patients présentant les problèmes de santé les plus fréquents n’est pas vue en soins secondaires ou tertiaires, même si ces niveaux de soins se coordonnent et se complètent. Ce travail a été répliqué récemment en France (Laporte 2023) et le constat demeure identique.
Cependant, l’essentiel du volume de recherche se situe en milieu hospitalier universitaire et laisse de côté, pour des raisons de difficultés pratiques, la recherche en soins primaire, se focalisant sur les patients à des stades de gravité avancée. Comment changer de paradigme et faciliter la recherche clinique dans un cadre de soins primaires ?
IPSO santé apporte une première réponse à cette problématique, comme l'a exposé Nathanaël Beeker. Il est responsable du pôle recherche, évaluation et data science de ce réseau de cabinets médicaux composés de médecins, de sage-femmes et d’infirmiers où les dossiers sont partagés et où les soignants s’entraident pour la prise en charge des patients. Aujourd’hui IPSO santé, c’est 100 praticiens dans 9 cabinets médicaux, plus de 40 000 patients réguliers, un réseau en forte croissance, 8 investigateurs, avec l’objectif de réussir des essais cliniques ambulatoires d’importance et de développer la recherche en soins primaires en France, grâce à une base de données commune.
L'importance des données cliniques issues des Digital Therapeutics (DTx)
Butterfly Therapeutics développe et évalue cliniquement des solutions de thérapie numérique de prise en charge de la douleur adaptées aux gestes des soignants. Depuis 2018, elle commercialise Bliss DTx, une thérapie numérique (composée d’un casque de réalité virtuelle, d’écouteurs et d’une application) à l’efficacité cliniquement prouvée pour réduire la douleur et l’anxiété des patients pendant les chirurgies et gestes douloureux, en substitution ou complément de certains traitements pharmacologiques standards. Depuis 2023, Butterfly Therapeutics complète son offre avec la solution Endocare, dédiée à la prise en charge de la douleur chronique des patientes atteintes d’endométriose.
Comme l'a exposé Etienne Lepoutre, CEO de l'entreprise, la collecte de données est capitale ici afin d’évaluer cliniquement la thérapie numérique. L'objectif consiste à protocoliser le non-médicamenteux et établir des études comparatives versus les spécialités pharmacologiques anesthésiques ou antalgiques. Cette collecte est destinée à prouver la simplification de la prise en charge pour le patient et, par voie de conséquence, le bénéfice sur l’impact organisationnel.
L'étude AUSTRAAL pour la prise en charge de la BPCO
Conçue par la société Biosensy, Bora care est une solution intégrée de médecine prédictive basée sur la télésurveillance à domicile de signes vitaux. Simple d’utilisation et ne nécessitant aucune intervention du patient, elle a été conçue pour réduire les hospitalisations, optimiser le parcours de soins et la qualité de vie des personnes atteintes d’insuffisance respiratoire.
Elle est composée d’un bracelet connecté qui permet le recueil des signes vitaux et d’une plateforme complète, interopérable, assurant la visualisation, le paramétrage, l’analyse des données cliniques et le suivi des alertes générées par des algorithmes à base d’intelligence artificielle. Comme l'a souligné Sylvain Le Liepvre, chef de projet et responsable d'études cliniques chez Biosensy, cette plateforme facilite la coordination des professionnels de santé.
Biosensy a réalisé l'étude clinique AUSTRAAL, un essai contrôlé randomisé destiné à démontrer la réduction des hospitalisations de patients présentant une exacerbation de la BPCO (Broncho-Pneumopathie Chronique Obstructive), grâce à la solution de médecine prédictive Bora care.
Cette étude, qui a été présentée à l’American Thoracic Society en 2023 (Le Guillou et al) avec en moyenne 110 signes vitaux collectés quotidiennement, a montré l’excellente acceptation du système par les patients ainsi que la sensibilité et la spécificité des mesures de télésurveillance des signes vitaux et de l’algorithme de détection précoce de l'exacerbation de la BPCO. Ces résultats sont très prometteurs pour la prévention en vie réelle de la (ré)admission à l'hôpital et la réduction de la gravité des épisodes aigus.
L'étude AWAIR dans le traitement de l’apnée du sommeil
Air Liquide Healthcare accompagne à domicile des patients vivant avec une maladie chronique telle que l’apnée du sommeil. Pour cela, les prestataires de santé à domicile (PSAD) mobilisent un ensemble de compétences médicales, paramédicales et techniques afin de fournir aux patients les DM de Pression Positive Continue (PPC) et les services nécessaires à leur prise en charge. La généralisation du télésuivi du traitement PPC et la mise en place d’un paiement en la performance selon trois niveaux d’observance a permis de bons résultats. Toutefois, ce modèle de remboursement n’est plus soutenable pour le système de santé, ni pour les prestataires. Dans ce contexte, un projet de dissociation tarifaire du DM et de la prestation de service et des propositions de refonte de la nomenclature sont en cours.
Pour soutenir ces enjeux, Air Liquide Healthcare a mis en place un plan de génération d’évidences visant à démontrer les bénéfices multidimensionnels des PSAD dans la prise en charge des patients traités par PPC. « L’étude AWAIR, en vie réelle, ambispective (rétrospective et prospective), vise à évaluer l’impact du niveau de service sur l’observance et la persistance au traitement par PPC, en exploitant la diversité des services fournis par les PSAD dans 4 pays européens, » a souligné Sarah Alami, Market Access Manager chez Air Liquide Healthcare.
Pour garantir un recul suffisant, les patients ayant initié un traitement par PPC entre 2019 et 2023 et suivis par une filiale d’Air Liquide Healthcare seront inclus rétrospectivement, totalisant 150 000 patients éligibles en France, Belgique, Espagne et Portugal. Les données collectées dans le cadre du suivi de routine des patients par les PSAD seront ré-utilisées, notamment les données issues des DM connectés. Un questionnaire patient a été développé pour pallier l’absence de certains facteurs confondants dans les bases de données PSAD, permettant également d’intégrer des PROMs et des PREMs. En raison de la volumétrie de patients, une solution sécurisée électronique sera mise en œuvre pour la gestion des non-oppositions, consentements et accès au questionnaire en ligne.
Les résultats attendus début 2025 associés à une étude médico-économique soutiendront la reconnaissance des actions des PSAD et l’optimisation du suivi dans la prise en charge des patients traités par PPC en Europe.
En conclusion
La synthèse des industriels ayant participé à cet atelier se résume en quelques phrases clés :
- l’enjeu de la collecte de données dans l’évaluation du DM consiste en premier lieu à identifier des sources de données pertinentes et de qualité,
- il convient de s'adapter aux circonstances et de faciliter la vie des investigateurs, ce qui est d'autant plus vrai pour le système numérique en évolution constante et d’une grande complexité,
- les frontières sont en train de tomber entre études cliniques et données de vie réelles.
Cet atelier très axé sur la pratique aura montré aussi la nécessité de faire preuve de créativité.