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De l’intérêt de protéger et défendre son invention au niveau européen
Première juridiction supranationale en Europe en matière de droit civil, la JUB vise à harmoniser le droit des brevets pour mieux protéger la propriété industrielle. Maitre Francine Le Péchon-Joubert nous explique de quoi il s'agit et les avantages que les entreprises peuvent en attendre.
Par Francine Le Péchon-Joubert, avocate associée chez De Gaulle Fleurance
Depuis le 1er juin 2023, le titulaire d’un brevet européen peut choisir de défendre ses droits sur son invention auprès de la toute nouvelle Juridiction Unifiée des Brevets (JUB -UPC en anglais) et de se voir délivrer un Brevet Européen à effet unitaire.
Ce double mouvement impose à toute entreprise active dans le secteur des technologies médicales de revisiter sa pratique et ses stratégies en la matière.
Défendre ses droits en faisant d'une pierre plusieurs coups
L’avantage évident d’avoir recourt à la JUB réside dans la possibilité d’obtenir une unique décision valable pour l’ensemble des pays parties prenantes de cette nouvelle juridiction multinationale, soit à l’heure actuelle 17 pays européens*. Il est à noter que le Royaume-Uni, l'Espagne et la Pologne ne sont pas inclus dans la liste, alors que l'Allemagne, la France, le Benelux et l'Italie le sont.
Le titulaire d’un brevet européen devait en effet jusqu’alors engager des actions en contrefaçon séparées dans chaque pays européen où son brevet était contrefait.
Au 31 janvier 2024, la JUB annonce avoir déjà été saisie de 217 affaires, dont 35 impliquent un dispositif médical. Aucune décision au fond n’a encore été rendue mais l’afflux immédiat et constant des dossiers depuis son ouverture laisse à penser que le succès de cette juridiction commune à 17 Etats européens est assuré. Sans réelle surprise, les sociétés allemandes ont le plus grand nombre d’affaires.
Au-delà de l’avantage territorial évident pour les titulaires de brevets, la mise en place de cette nouvelle juridiction comporte autant d’opportunités que de risques. En effet, l’enjeu du litige n’a nul besoin de concerner l’ensemble des 17 Etats pour que la JUB puisse en être saisie. A titre d’exemple, le titulaire d’un brevet européen enregistré et valable dans seulement quelques pays, dont la France, peut ainsi choisir d’introduire une action devant la JUB pour trancher un différend qui l’opposerait à une ETI franco-française sans aucune activité internationale avérée.
En pratique, ce choix sera plus coûteux pour le demandeur qu’un contentieux classique devant le Tribunal judiciaire de Paris, mais les opportunités procédurales de la JUB pourront dans certaines circonstances justifier un tel surcoût.
Ainsi, contrairement aux affaires actuellement tranchées à Paris, des juges scientifiques dans le secteur concerné peuvent siéger à la JUB aux côtés des juges au profil plus habituel. Ces juges affectés par les Etats sont aussi de différentes nationalités ce qui, à court terme, peut permettre d’instruire et de plaider en anglais ou en allemand. Cela devrait, à plus long terme, permettre une uniformisation de la jurisprudence européenne en matière de brevet.
Cette nouvelle juridiction met aussi en œuvre différents mécanismes judiciaires opérés exclusivement jusqu’ici au sein de certains pays membres : modes de preuves, séquençage de l’affaire, audition de témoins ou encore garanties notamment pécuniaires fournies par le demandeur pour permettre l’indemnisation d’un défendeur victorieux…
Enfin, cette nouvelle juridiction a une ambition de célérité clairement annoncée, avec l’objectif de rendre des décisions en l’espace d’une année.
Un brevet commun à tous les états participants
Les 17 États membres sont aussi convenus de délivrer un titre de propriété intellectuelle unique et commun : le brevet européen à effet unitaire. Celui-ci peut être obtenu à l’issue de la procédure habituelle d'obtention d'un brevet européen et couvre alors l'ensemble des 17 territoires en un seul titre.
Le montant des taxes d’enregistrement et des annuités rend ce titre très attractif, à tout le moins nettement moins onéreux qu'un enregistrement séparé pour chacun des 17 pays.
L'Office Européen des Brevets (OEB) indique dans son tableau de bord, avoir d’ores et déjà enregistré près de 20 000 brevets à effet unitaire. Les technologies médicales représentent la plus large proportion, soit 11,8 % des brevets unitaires délivrés (et 3,8 % pour les produits pharmaceutiques).
La JUB a seule compétence pour juger de la contrefaçon et validité d’un tel titre unitaire.
Revoir sa stratégie en conséquence
Les acteurs français du DM doivent pleinement s'emparer de ces mécanismes pour en maîtriser les codes mais surtout influer sur les solutions qui se dessinent aujourd’hui.
Toute entreprise active en Europe, que ce soit ou non pour ses propres brevets, doit revoir en profondeur sa stratégie en matière de brevets et d'accords technologiques afin d'y inclure l’hypothèse du brevet unitaire et de la JUB. Les donneurs de licence, les preneurs de licence et les copropriétaires de brevets doivent dépoussiérer leurs accords de transfert de technologie actuels et futurs et/ou leurs accords de collaboration ou de licence.
Les dispositions contractuelles relatives à l’arbitrage ou la médiation des accords de licences ou de transferts de technologie sont tout autant impactées.
* Allemagne, Autriche, Belgique, Bulgarie, Danemark, Estonie, Finlande, France, Italie, Lettonie, Lituanie, Luxembourg, Malte, Pays-Bas, Portugal, Slovénie et Suède.