DTx : la réglementation se met progressivement en place
Apparues il y a une quinzaine d’années, les DTx, ou thérapies numériques, nécessitent des procédures d'autorisation et de financement innovantes, ainsi qu'un cadre juridique spécifique. Maître Cécile Théard-Jallu fait le point sur le sujet et les initiatives prises en la matière aux Etats-Unis et en Europe.
Par Cécile Théard-Jallu, avocate associée du cabinet De Gaulle Fleurance
Les DTx (pour Digital Therapeutics) sont des dispositifs médicaux (DM) d’un nouveau genre qui entendent alléger, compléter voire remplacer la prise de médicaments. Leur marché, qui vise des indications variées (maladies chroniques, diabète, maladies mentales…1), est en plein essor avec 17,7 Mds$ de revenus prévus en 2027 et près d’un millier d’essais cliniques en cours sous dominance américaine, puis européenne et asiatique2.
Atout disruptif d’une médecine plus personnalisée, participative et préventive, visant à combler des besoins de patients non satisfaits par la médecine traditionnelle et un système de soin en surchauffe, les DTx rencontrent cependant une série d’obstacles comme l’adhésion encore limitée des patients et des soignants ou un modèle de financement restant à sécuriser3.
Leur cadre juridique est lui aussi un défi car il doit encore se développer et s’harmoniser à un niveau tant européen qu’international. Pour y répondre, de premières initiatives nationales ont été lancées, doublées de rapprochements bilatéraux, le tout augurant un cadre plus pérenne qui devrait soutenir l’effort du marché et participer à sa future prospérité.
Juridiquement, que sont les DTx ?
A ce jour, les DTx sont des dispositifs médicaux (quand les critères en sont remplis4), numériques5, à visée thérapeutique. Ils se distinguent notamment des médicaments par leur mode d’action puisqu’ils sont des moyens non pharmacologiques, non immunologiques et non métaboliques6.
Ceci amène une série d’obligations dont celle de disposer d’un marquage CE médical, se conformer à certaines exigences essentielles de sécurité et de performance et assurer un niveau suffisant de protection des données personnelles, y compris de santé, que les DTx permettent le cas échéant de traiter (dans le respect du RGPD et des textes nationaux applicables).
Mais la spécificité des DTx est de compléter ou se substituer aux médicaments, ce qui oblige à comparer leurs effets respectifs. Or, les textes régissant les investigations cliniques des DM et leur vie sur le marché7, sont distincts de ceux concernant les médicaments8. Par exemple, les demandes et autorisations d’essais cliniques de médicaments obligent de passer par le portail CTIS (Clinical Trial Information System) pour les Etats membres de l’UE, l’Islande, le Liechtenstein et la Norvège. Tandis qu’une investigation clinique de DM passera par l’autorité nationale.
Il faut donc faire bouger les lignes pour adapter les textes à ces nouveaux "médicaments numériques hybrides" et plusieurs pays s’y sont déjà adonnés.
Une règlementation spécifique qui se façonne sur la scène mondiale
A ce jour, il ne s’agit pas (encore) de mettre en place une nouvelle réglementation autonome et de fond, mais plutôt des procédures d’autorisation et de financement innovantes appliquant certains critères d’éligibilité.
Aux Etats-Unis, la FDA a cherché à résoudre des problèmes tels que l'inefficacité de l'examen et du réexamen des applications au gré de leurs améliorations itératives. Dans ce cadre a été mis en place le "Programme pilote de pré-certification des logiciels de santé numérique", qui réglemente l'entreprise plutôt que le produit9.
L’Allemagne a ouvert la voie au remboursement des DTx grâce à la Digitale-Versorgung-Gesetz ("DVG"), loi sur les soins de santé. Depuis 2019, elle autorise tous les médecins en Allemagne à prescrire des thérapies numériques (Digitale Gesundheitsanwendungen, ou "DiGA") aux assurés sociaux, alors même que leurs investigations cliniques ne sont pas achevées. La période de remboursement a été fixée à un an. Cela permet au fabricant de collecter des données cliniques et faire ensuite réévaluer sa technologie pour un remboursement définitif10. La Belgique a adopté une logique proche avec le système "mHealth Belgium" permettant le remboursement par une approbation à plusieurs niveaux (marquage CE et conformité au RGPD avec notification aux autorités, évaluation des risques, et le cas échéant démonstration de bénéfice médico-économique)11.
Par un décret du 31 mars 2023, la France a adopté le dispositif "PECAN" (pour "Prise En Charge Anticipée Numérique"), qui permet un financement dérogatoire d’un an par l’Assurance maladie des DM numériques à visée thérapeutique suffisamment matures, présumés innovants, n’ayant pas encore achevé leur parcours d’investigation clinique. Cette phase anticipée, passant par plusieurs étapes notamment auprès de l’ANS et de la HAS, permet à l’exploitant de finaliser la démonstration du bénéfice clinique et/ou organisationnel tout en étant déjà remboursé.
Task forces et collaborations
Au-delà du cadre règlementaire, nombreux sont les acteurs se mobilisant pour soutenir le marché des DTx, qui est susceptible de bouleverser le secteur de la santé. Ainsi en octobre 2022, une task force européenne, coordonnée par le réseau EIT Health, a été lancée pour travailler sur l’harmonisation des critères d’évaluation des dispositifs numériques.
Une task force dédiée aux DTx a également été créée par France Biotech en septembre 2023.
En parallèle, des collaborations bilatérales naissent comme celle de novembre 2023 entre France Biotech et la Spitzenverband Digitale Gesundheitsversorgung (SVDG), association allemande du numérique en santé. Le but est de mettre en commun des expertises, soutenir le développement d’un marché franco-allemand des DTx et au-delà, favoriser la croissance des DTx en Europe.
De multiples questions restent à résoudre, notamment la reconnaissance mutuelle des résultats cliniques, l’interopérabilité, le partage et la sauvegarde des données, l’accès au marché, la fixation des prix… La mobilisation des différents acteurs privés et les discussions avec les pouvoirs publics seront autant d’étapes nécessaires pour intégrer les DTx dans le paysage des soins. Outre la compatibilité des normes si ce n’est leur harmonisation, l’enjeu est également de renforcer la confiance des soignants pouvant les prescrire et faciliter leur usage par les patients.
1 Par exemple, le système de gestion du diabète BlueStar de WellDoc approuvé en 2010 par la FDA ou le premier système de "pilule intelligente", Abilify MyCite, servant à mesurer l'efficacité d’un traitement et aider les médecins à améliorer les résultats cliniques en matière de schizophrénie, trouble bipolaire et dépression, "Digital therapeutics – catalysing the future of health", Deloitte, 2021.
2 Ibidem et "Digital Therapeutics Market", Market&Market.
3 "Avant de prescrire des thérapies numériques, les médecins veulent des preuves cliniques", Tic Pharma, 20 novembre 2023 ; "Révolution & essor des dispositifs médicaux numériques à visées thérapeutiques : comment poser les fondements et accompagner cette filière émergente en France ?", France Biotech, Septembre 2023.
4 Un logiciel est un DM (ou DM DIV) lorsqu‘il est spécifiquement destiné par le fabricant (i) à être utilisé pour l’une ou plusieurs des finalités médicales reconnues par les textes et (ii) permet l'exploitation de données propres à un patient pour les modifier ou en créer de nouvelles. L’ANSM précise qu’ils doivent (i) être destinés à une utilisation à des fins médicales : prévenir une maladie, établir un diagnostic, constituer une aide au diagnostic ou une aide au traitement ; (ii) donner un résultat propre au bénéfice d’un seul patient ; (iii) effectuer une action sur les données entrantes propres au patient afin de fournir une information médicale nouvelle. Un logiciel destiné à la simple observation de la bonne prise d'un traitement ou à la simple communication des données au médecin, sans fonction d’alerte, n’est pas un DM. Les accessoires de DM sont soumis aux mêmes règles que ces derniers (cf. par ex. Art. 2.1 du Règlement européen 2017/745 sur les dispositifs médicaux (RDM) et "Le logiciel ou l’application santé que je vais mettre sur le marché relève-t-il du statut de dispositif médical (DM) ou de dispositif médical de diagnostic in vitro (DM DIV) ?", ANSM, septembre 2023).
5 La Digital Therapeutics Alliance les définit comme fournissant des interventions fondées sur des données probantes et pilotées par des logiciels de haute qualité pour prévenir, gérer ou traiter un trouble médical ou une maladie (Digital Therapeutics, Definition and Core Principles, Novembre 2019).
6 Article 2.1 du RDM.
7 RDM et Règlement européen 2017/746 sur les dispositifs médicaux de diagnostic in vitro et textes nationaux applicables en la matière.
8 Notamment le Règlement européen 536/2014 sur les essais cliniques en matière de médicaments ou 726/2004 sur l’autorisation et la surveillance des médicaments.
9 Digital Health Software Precertification (Pre-Cert) Pilot Program | FDA et Dan Brown, "Digital Therapeutics Regulation: 3 leading countries", 10 mars 2021.
10 "Être une DTx en Europe : quels espoirs pour un accès au marché harmonisé ?",TechToMed, printemps 2023.
11 Ibidem.